17 Septembre 20**
17h48 : description du bâtiment.
L'institut international de la recherche
scientifique (l'IIRS) de Paris (France) est un immeuble high-tech planté au cœur du XIIIème arrondissement
de la capitale. Haut de trois étages, il est couronné d'une impressionnante bulle vitrée de près
de quinze mètres de diamètre. L'aspect extérieur, œuvre de l'architecte bélarus Gregor Katschi,
est une monumentale rosace fractale dont les infinis détails couvrent la façade. Tout autour de
larges plans d'eau et de pelouse convergent vers l'entrée du complexe. Répartis sur les différents
niveaux, 37 laboratoires moins 1 sont opérationnels. Ils recouvrent les disciplines les plus variées,
de la balistique à la biologie moléculaire, des mathématiques à l'ethnologie. Cinq de ces laboratoires
impliquent un appareillage classé code 5 sur l'échelle des risques radioactifs : ils sont isolés
au rez-de-chaussée. Chaque laboratoire est sous la direction d'un "maître de recherche" qui place
sous ses ordres de 10 à 25 "chercheurs" selon la taille des locaux qui lui sont alloués. La superficie
totale du centre étant de 7000 m², cela fait plus de 600 chercheurs en fonction en même temps,
chacun ayant reçu une formation adaptée au matériel de son laboratoire d'attribution. Le recrutement
de cette "main d'œuvre" a été rapide mais scrupuleuse : rien n'a été laissé au hasard pour que
des résultats probants soient constatés dans le minimum de temps. Toutes les équipes ont été en
poste et opérationnelles à l'heure dite "H" six heures après les premières recherches sur le site
du Professeur Frédéric Faurnioux, spécialiste mondialement réputé de mécanique des fluides.
18h00 : début des recherches.
De l'extérieur, il est difficile de se faire une idée de l'activité qui traverse toutes les salles
du complexe. Dans le silence des jardins, rien ne vient laisser supposer que dans le vaste cube
de verre qui en constitue le centre règne l'excitation de la recherche. A la surface du bâtiment,
toutes les vitres révèlent cependant une présence, puisque la lumière y est puissamment allumée.
Malgré l'opacité des miroirs sans tain, le contraste des sources de lumière vives avec l'obscurité
naissante de la fin du jour permet de distinguer les silhouettes des chercheurs qui s'agitent
dans le théâtre d'ombres qu'est devenu l'IIRS au crépuscule. Seul le laboratoire blindé A-4, dans
la zone du rez-de-chaussée, bien qu'éclairé, ne laisse percevoir aucune sorte de mouvement.
18h22 : vue du hall central.
Au cœur de complexe se situe le hall central. C'est une place rectangulaire en marbre blanc, acier
et béton brut et gris. Malgré la froideur de ces matériaux, il faut reconnaître que l'architecte
intérieur français Jacques Miejurski a su faire de cet endroit consacré au passage, puisqu'il
distribue les accès aux labos, une place où l'on reste, où l'on discute et où l'on parie sur l'avancement
des recherches, un véritable lieu de vie. L'observateur debout au centre de ce hall surplombé
par la gigantesque demi-sphère de verre se trouve véritablement au fond d'un puits de lumière.
Pour l'heure, alors que la nuit de janvier recouvre les jardins silencieux, les puissants projecteurs
baignent les grands volumes de cette salle d'une clarté dure et blanche. Dès le début des recherches,
c'est naturellement là que s'est installée l'organisation et le contrôle des différentes équipes
du centre, sous la direction du Professeur Juan-Angel Aguila. Bien qu'il ne soit nullement au
sommet hiérarchique de l'organigramme du centre, la détermination et surtout le sang-froid de
ce spécialiste des civilisations pré-incas l'ont naturellement imposé à la coordination des chercheurs.
Après la soudaine et pathétique crise de nerfs du Professeur Paul Parchak, un historien spécialiste
de l'usage des propagandes dans les régimes totalitaires qui avait pris en main le désordre des
premiers instants pour en faire un pur chaos, il fallait un esprit calme et assuré (les mauvaises
langues diront équilibré) pour assurer le succès des recherches. C'est donc dans l'urgence, sur
des bureaux chargés de téléphones, d'ordinateurs et de rapports détaillés et incompréhensibles
installés au milieu du hall, que l'IIRS continue de fonctionner.
18h58 : entretien avec le Professeur Aguila.
"Professeur, vous avez maintenant la charge de la coordination des recherches au sein de l'IIRS,
quelle est la situation actuellement ?
-Vous le savez, le Professeur Parchak, pour qui j'ai la plus grande estime, a dû abandonner la
direction et c'est le collège des maîtres de recherche qui m'a désigné à ce poste. J'ai, dans
l'urgence de la situation que vous connaissez, décidé de centraliser l'évolution des différentes
équipes afin d'éviter une situation par trop "compliquée", voire ingérable, et de réorganiser
l'attribution des espaces de recherche, c'est-à-dire des laboratoires et des couloirs dont ils
dépendent pour que personne ne se "marche sur les pieds", si vous me passez l'expression.
-Mais quelle est précisément l'évolution des recherches à l'heure où je vous parle ?
-Et bien nous maîtrisons la situation, même si rien de tangible n'est encore à notre portée. Je
pense que c'est tous ensemble que nous parviendrons à mettre un terme à cette campagne de recherche.
-Professeur Aguila, je vous remercie."
19h34 : premier niveau et premier état des
recherches.
Les quatre ascenseurs en aluminium qui se trouvent deux par deux de chaque côté du hall central
permettent en quelques secondes de débarquer (c'est l'exacte vérité, tant la modernité de l'ensemble
confine à la science-fiction) au premier niveau. Dans les tons jaune et vert, il regroupe les
unités "sciences humaines" et "sciences cognitives", c'est sans doute pour cela que l'ambiance
y est un peu guindée. Un grand couloir en forme de U distribue l'accès aux différents labos. Derrière
chaque porte, on devine l'agitation des chercheurs aux bruits de mouvements et de déplacements.
Il n'est pas rare de croiser une équipe au complet dans un couloir, prenant dans ces lieux neutralisés
un court moment de répit avant d'aller faire leur rapport au Professeur Aguila. Chacun s'affaire,
et tous paraissent savoir parfaitement ce qu'ils à faire. Peu à peu, l'observateur extérieur se
sent gagné lui-même par la fébrilité et l'excitation de la recherche : tout cela donne une telle
impression d'énergie canalisée par une compétence au service d'un but défini qu'une telle quête,
même si elle est finalement vaine (tout peut arriver...), ne peut que faire des émules.
23h02 : second niveau et second état des
recherches.
Au second niveau, l'ambiance est radicalement différente puisque les plus grands spécialistes
de biologie moléculaire et de chimie y ont élu domicile. Rien de ce qui se passe au niveau atomique
n'échappe aux puissants microscopes des labos. Pour l'heure, la fièvre de la recherche est un
peu tombée, le moral semble baisser devant l'impossibilité de parvenir à un résultat tangible
dans l'immédiat, du moins à ce niveau. Dans les couloirs, les chercheurs paraissent abattus dans
les combinaisons blanches et sans poches que le Professeur Aguila a décrétées obligatoires. Le
café brûlant coule à flots, la fatigue commence à se faire sentir d'autant plus que ce niveau
est a priori le moins concerné. Dans chaque pièce, des chercheurs ayant mené leur tâche à son
terme en vain tentent de se rassurer en évoquant les possibilités de réussir de chaque niveau.
Nul ne se permet de douter de l'issue de ces recherches.
01h36 : troisième niveau et troisième état
des recherches.
Le troisième niveau est maintenant plongé dans l'obscurité la plus totale. Tous les chercheurs
sont redescendus dans le hall central avec ceux des deux autres niveaux. Les recherches se sont
concentrées dans les laboratoires du rez-de-chaussée, sauf dans celui qui est à l'origine de cette
campagne de recherche et qui reste obstinément silencieux.
02h27 : hall central et dernier état des
recherches.
A l'instant, l'équipe du paléontologue Joseph Miortec a connu la plus frustrante des fausses
joies dans le laboratoire de physique des particules : c'était une fausse alerte. Le centre est
désert, les chercheurs non affectés au rez-de-chaussée ayant compris que leur présence sur les
lieux ne servaient qu'à compliquer la tâche des quatre équipes encore en activité et à augmenter
le stress de l'attente. Je vais moi-même quitter les lieux, déçu comme tout le monde. Seule l'équipe
de direction de l'IIRS attend, immobile dans le hall, les visages gris de fatigues et d'angoisse.
Parmi ces éminents spécialistes qui se sont donné pour tâche de comprendre le monde dans sa structure
le plus intime, nul ne peut dire quand il sera possible de libérer le Professeur Paul Curson du
laboratoire où il a été enfermé par erreur et nul cependant ne désespère d'en trouver la clef.
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