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Nous voilà à présent, après un lever matinal,
devant l'entrée du site pour aller assister au lever de soleil sur les ruines incas. Il faut dormir
à l'hôtel proche pour pouvoir contempler cet instant, les premiers visiteurs arriveront beaucoup
plus tard par les bus lancés à l'escalade de la route impossible. Nous avons devant nous le silence
humide du Machu Pichu, à peine voilé par quelques brumes échappées de la rivière qui gronde en
contrebas. Devant les yeux sombres du gardien quechua de l'entrée, nous passons avec humilité.
Nous gagnons le sommet des étagements qui surplombent le site (où poussaient les pommes de terre
incas) pour surveiller la masse encore sombre des bâtiments et du condor qui les protège,
et apercevoir au loin, au creux des montagnes, les premiers rayons du soleil.
Du soleil ? Du Soleil, plutôt. Le soleil est
l'œil scrutateur de la cosmogonie inca, à la fois dieu omnipotent et principe du pouvoir de l'inca,
qui est son fils. Cette mystique du soleil-dieu, largement présente dans la plupart des
civilisations, est ici particulièrement prégnante. C'est le dieu-soleil qui donne
vie, au sens propre comme au sens figuré, à la forêt vierge, à la forêt
matricielle qui cerne le Machu Pichu. Alors, comme des millions d'hommes pleins d'espoir, de terreur,
ou d'angoisse, comme nos lointains ancêtres terrorisés par les hurlements des loups
en dehors de leur caverne, comme les habitants du bord du Nil anxieux de savoir si le voyage nocturne
du dieu s'est bien passé, comme les incas écrasés par les montagnes, comme
le prêtre inca attendant la lumière dans son temple pour pratiquer la trépanation
rituelle, nous guettons le soleil qui doit apparaître dans une encoche de la montagne.
Et le soleil vient à nous...
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Le dieu Soleil inonde le Machu Pichu de sa force
: pour comprendre ce que cette lumière apporte aux indiens terrés sur cette montagne,
pour saisir l'importance de cette lumière et la vénération qu'elle suscite,
il faut avoir vu les fenêtres des temples -soigneusement orientées vers les points
cardinaux de la trajectoire du soleil- et les non-fenêtres des habitations obscures et enfermées,
il faut avoir vu la table de pierre du temple du soleil attraper la première les rayons
et s'éclairer seule au milieu du Machu Pichu, il faut surtout avoir vu l'ombre immense
du condor, projetée sur les montagnes encerclantes par le le roc sculpté protecteur
de la cité, s'allonger comme celle d'un oiseau immense qui viendrait à la fois surveiller
ses sujets mais aussi leur dire "n'ayez crainte, je veille sur vous". "Je veille
et je surveille" voilà le credo du condor sacré et de son ombre. Le mouvement
du soleil fait décrire à cette ombre gigantesque une orbite allongée sur
le cercle des montagnes, un survol majestueux et magique dans les premières heures de la
journée.
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Lorsque le soleil est apparu, c'est le temple
du soleil qui a été éclairé en premier (le temple se trouve sous l'aile
gauche du condor ci-dessus). L'encoche de la montagne par laquelle sont passés ces rayons
si précis, est-ce donc encore l'oeuvre des prêtres incas ? Bien sûr. Pour venir
au Machu Pichu, les incas empruntaient un chemin tortueux dans les montagnes, tortueux mais aménagé,
pavé de pierres jointes, avec des guérites pour les gardes et des abris pour les
coureurs, avec des sources et des lamas hautains. Dans la montagne qui surplombe le Machu Pichu
à l'est, le chemin de l'inca passe au point exact où arrive le soleil du matin.
A cet endroit est construit un temple : c'est la Porte du Soleil. Ce n'est pas vraiment un temple,
plutôt une casemate où de grands piliers encadrent le soleil levant.
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Nous partons en promenade
vers la Porte du Soleil : en promenade ? à 3200 mètres, nous perdons un
peu de notre superbe devant les lamas effrontés. Qu'importe, le chemin inca est
une merveille, et nous croisons des indiens qui nous sourient.
Arrivés à la Porte du Soleil, nous contemplons le site du point que nous
fixions ce matin avec tant d'attention pour y voir le soleil. Je prends une photo : entre
les piliers du temple, le Machu Pichu apparaît protégé par son condor.
Sans doute un garde inca a-t-il contemplé ici les lumières mouvantes dessinées
par le soleil sur la cité perdue, sans doute un prêtre a-t-il remercié
son dieu d'être venu encore une fois se prêter à son adoration. Nous
sommes seuls ici, au milieu des pierres et de la forêt luxuriante, seuls avec les
fantômes d'un peuple héliotropique. |
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Nous sommes seuls ici, avec le soleil et le Machu
Pichu qui coïncide alors exactement avec l'eldorado de pierres que nous étions venu chercher. |
Un peu plus tard, il nous faut partir, regagner
par le bus et par le train la ville proche, laisser derrière nous les murs et les temples
du grand condor. Qu'importe, nous avons vu ce que nous étions venu chercher, nous avons
appréhendé le monde des incas tel que les incas le voyaient, dans la mesure de notre
imagination limitée par le temps, la distance et la civilisation. Pour le reste, pour ce
que nous ne pouvons déduire ou comprendre, la forteresse du Machu Pichu nous ouvre les
portes d'un imaginaire remis à neuf.
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PmM |
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