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Les feuilles
mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les millénaires
aussi. C'est l'automne ! Et malgré l'arbitraire des célébrations
que l'on nous impose, il flotte comme un parfum mélancolique
de dernier automne, de froid d'hiver autour de mon cher fauteuil
pourtant protégé par les étincelles du feu,
les poils du chat, le halo rose des lumières, la chaleur
glacée d'un cocktail (Isba : deux parts de vodka pour
une de liqueur d'abricot et une de martini blanc. Ajoutez un trait
de jus de citron dans le shaker. Remuez. Ajoutez de la glace dans
le verre) et quelques livres doux-amers...
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Nena
Rastaquouère
de Pierre Cherruau - Baleine |
Attention, ce
livre risque de vous en mettre un coup au moral. Comme le dit Daeninckx
qui le parraine, cette histoire courte vous prend par les yeux,
vous rend furieux et vous désespère. Pas vraiment
par son scénario d'ailleurs, mais plutôt par ses personnages
et par son ambiance : au-delà des images que nous avons tous
de l'Afrique et de la misère dans laquelle les gouvernements
corrompus soutenus pas les pays et les multinationales du Nord ont
plongé la plupart des pays, ce livre nous permet d'imaginer
non pas la déliquescence des Etats que nous connaissons déjà,
mais l'effondrement des gens, de leur morale, de leur rapport à
la société. Un vrai effondrement de l'humanité
en somme. Et la pilule est très amère. De péripétie
en péripétie, l'auteur / personnage nous enfonce ;
chaque nouvelle progression dans la mince intrigue est l'occasion
d'une démonstration basée sur l'émotion et
l'empathie pour un désespoir que nous ressentions, et il
faut bien le dire, que nous avions toujours tendance à refouler.
Ah la vache, ça commence bien cet automne. Ajoutez à
cela le poignant sentiment d'inéluctabilité et vous
avez le livre idéal pour bousiller le reste de confiance
qu'il vous restait dans l'humanité. Tant pis, je vais me
refaire un cocktail.
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PmM |
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Haute
fidélité de
Nick Hornby - 10x18 |
Bon, prenons
le cas d'un gars anonyme qui vient de se faire larguer par sa chérie.
Il court passer quelques jours au soleil chez des amis de confiance
pour retrouver le moral et penser à autre chose. Dès la première nuit,
malgré l'alcool et la fatigue, le sommeil ne vient pas ; dans sa tête,
150 000 questions toutes plus monstrueuses les unes que les autres
tournent en rigolant. Pour tromper ses insomnies, il demande à son
hôte un bouquin. L'hôte, qui ne sait pas très bien lire (il suit encore
avec le doigt), n'en a qu'un (et sale). De plus, il paraît réticent
à le confier à son vieil et malheureux ami, mais bon. La nuit venue,
notre pauvre gars anonyme attaque le bouquin : c'est l'histoire d'un
mec qui vient de se faire larguer. Bon, bon. On pourrait s'attendre
au pire, comme l'hôte lui-même, mais c'est le meilleur qui surgit,
merci, merci Nick Hornby.
Cette histoire n'est pas la mienne (je n'ai pas de problèmes de couple
: je suis hermaphrodite), mais ce livre a contribué à l'admirable
redressement de cet ami anonyme. Il est très drôle. Il décrit très
bien les femmes et encore mieux les hommes, mais c'est dans les rapports
entre les deux qu'on s'amuse le plus. Peut-être ne fonctionne t-il
surtout avec les hommes malheureux ? En tout cas, il leur fait grand
bien : on achève ce livre apaisé et serein, puis on appelle son ex
en riant pour lui dire qu'on a même pas mal. |
EM |
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Les
Pâtres de la Nuit de Jorge
Amado |
Salvador de Bahia.
Quelque part dans ses bidonvilles, une poignée d’hommes et de femmes
aiment, se révoltent, prient des dieux étranges, moitié chrétiens
moitié païens, font le commerce des femmes. Ils se connaissent depuis
leur enfance : le caporal Martim et ses cohortes de maîtresses, l’Ygrec,
Tiberia la tenancière et son mari, fabricant de cierges pour la paroisse,
la crinière blanche du Coq Fou. Le lien qui les unit est plus fort
que tout, le mariage, la pauvreté, les promoteurs en quête de terrains
bon marché, et se renoue chaque soir autour d’une bouteille de cachaça.
Dans ce monde qui nous rappelle les univers magiques de Gabriel Garcia
Marquez, le malheur n’est que de passage. C’est qu’il en faut peu,
au fond, pour vivre dans l’honneur : quelques planches de bois, le
respect des anciens, la crainte des dieux. Alors, notre monde peut
bien s’agiter. Les politiciens peuvent bien s’emparer pour quelques
semaines de la vie étrange et si douce de ce quartier. Seuls sont
éternels les héros indélogeables de ces ruelles baignées de poussière
et de soleil, qui nous feraient oublier, à nous autres drogués du
confort, que la misère nous est tellement insupportable. |
FXS |
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Gimpel
le naïf
d'Isaac Bashevis Singer - Stock |
A quoi tient
l'universalité des contes d'Isaac Bashevis Singer ? D'où
vient le sentiment de familiarité, de proximité avec
ces histoires de juifs polonais ruraux ou citadins, histoires écrites
en yiddish et couronnées par un prix Nobel en 78 ? Pour une
bonne part, sans doute de la présence de la culture juive
d'Europe Centrale dans notre culture de mélanges. Puis de
la part de culture juive dont le maître de Brooklyn (vous
voyez de qui je parle, il a de grosses lunettes) nous a appris à
rire. Et pour l'essentiel, parce que les histoires des femmes et
des hommes, petits ou grands, généreux ou mesquins,
savent traverser les cultures quand elles sont dites avec autant
de talent. C'est le génie d'écrivains comme Singer
que de savoir transformer une histoire en conte à
la portée quasi-universelle. Que ses histoires se déroulent
dans la Pologne de ses origines ou dans le New-York mythique des
communautés, elles sont autant de témoignages d'humanité,
au sens précis du terme.
A lire : Gimpel
le Naïf, Le magicien de Lublin, Le Fantôme
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PmM |
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Le
corps exquis de Poppy Z. Brite -
J'ai lu |
Dans la série
"psychopathe-tueur en série-cannibale-homosexuel-drogué", voici un
livre qui n'a pas grand intérêt. Il est curieux de voir comme la transgression
de codes qui n'existe plus que dans les mentalités les plus conservatrices
peut devenir un filon littéraire. Comment vous dire ? Disons qu'on
a l'impression d'écouter un groupe de hard-rock satanique : on commence
par rigoler, puis l'on s'ennuie définitivement. C'est pas parce qu'on
est une femme, qu'on écrit des histoires de crimes atroces dans des
milieux glauques et qu'on évoque le sida comme un châtiment et une
arme qu'on est subversif. Et surtout qu'on arrête de mettre en quatrième
de couverture une photo de la nana déguisée en vampire, l'air torturée
par une réalité qu'elle est seule à connaître (tout ça avec un très
joli logo "nouvelle génération". Je préfère personnellement "100%
anti-teckel"). Les écrivains qui par souci de carrière ont décidé
d'être maudits et transgressifs (et qui sont publiés à la pelle) me
gonflent. Dis-donc, Poppy (?!) Z. Brite, si tu faisais plutôt un groupe
de hard-rock satanique ? |
EM |
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Manuscrit
trouvé à Saragosse
de Jean Potocki |
Dans l’Andalousie
du XVIIeme siècle, un jeune capitaine des gardes wallones se trouve
embarqué dans une histoire qu’il a bien du mal à comprendre. Au fond
d’une auberge abandonnée, deux jeunes femmes qui se prétendent ses
cousines viennent s’offrir à lui, et tentent de le convertir à la
foi mahométane. Cherchant à pénétrer le mystère du lieu, le jeune
homme va croiser sur son chemin mille et un personnages en quête d’une
oreille complaisante à laquelle confier le secret de leur vie. Les
récits se succèdent, se croisent, s’emmêlent à tel point parfois qu’il
faut des tablettes de géomètre pour conserver en le fil. Au terme
de ces narrations, c’est presque deux mille ans d’histoire européenne
qui défile sous nos yeux. Ces rencontres sont-elles le fruit du hasard
? Pour le savoir, il faut parvenir à démêler chaque récit de ce roman
qui s’avère être, au bout du compte, l’un des romans hypertexte les
plus achevés qui soit ! |
FXS |
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Mordre
au travers
de Virginie Despentes - Librio |
Nous avons déjà
évoqué dans ces colonnes la petite baffe que nous avions
ramassée en lisant Baise-moi
et les Chiennes Savantes
de Virginie Despentes. Mordre au travers est un recueil de
nouvelles toutes aussi décapantes. Le recours à la crudité
de l'expression est plus mesuré, l'intention de destabilisation
est manifestement moins grande : l'humanité et le désespoir
des situations en sort considérablement renforcé, ou
du moins plus marquant. La nouvelle intitulée Balade
est simple, toute simple : vous ne pourrez pas la lire sans être
pris aux tripes, à moins d'être un jeune madeliniste.
Virginie (j'ai envie de l'appeler par son prénom, comment faire
autrement ?) sait parfaitement la détresse, le sexe, l'égoïsme
naturel et la saleté qui nous pourrit la tête. Elle les
connaît, et les fait apparaître sans fioritures ; la ville
est le théâtre de cette crasse exposée. Ne vous
y trompez pas : les plus crasseux sont souvent les plus propres d'apparence,
et soyez persuadés qu'il n'y a aucun simplisme dans la manière
dont Virginie Despentes expose tout cela. Simple, sincère et
littéralement vrai, Virginie explose tous les à peu
près qui masquent toujours à un moment ou à un
autre la vérite dans n'importe quel texte. Une sorte d'anti-Babar
absolu. |
PmM |
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