Aujourd’hui,
vendredi 4 mai, la maison est vide, il est parti se promener. J’aime
ces moments où je peux regarder calmement à travers la baie vitrée
l’océan se déchaîner. J’aime cet instant exquis et intime où tout
semble si léger. J’aime notre maison lorsqu’elle est vide de sa
présence, lorsque je ne sens pas son souffle dans mon dos, ni les
pas sur le plancher du premier. Ce matin, il est parti se promener.
Dans la cuisine,
les restes de la vaisselle de la veille traînent encore dans le
lavabo. La table reste mise attendant les convives, comme si la
soirée d’hier n’avait pas eu lieu. Ils sont repartis plus tôt que
prévu. Certains ont oublié quelques affaires qui sont restées posées
sur le lit de la chambre d’amis. Ils sont partis aussi vite qu’ils
sont arrivés. Pas le temps de discuter, ni de savoir comment ils
allaient. Juste le temps d’une dispute, sa dispute. Ce matin, il
est parti se promener.
Dans la chambre
d’amis, outre les vestes des convives, une lettre. Je l’ai déjà
lue plusieurs fois, mais je ne peux pas m’empêcher de la relire
à chacun de mes passages. Une lettre brouillonne écrite à la va-vite,
griffonnée sous la pression, arrachée à l’énervement d’une soirée
qui vacille. Des mots durs, dont je ne comprends pas le sens. Des
phrases lourdes de sens que j’effleure à peine, et un texte au final
illisible qui me fait de la peine. Ce bout de papier est une ancre
dans la mer de mes tourments. Mais cet ami qui essaye de me montrer
une bouée dans ma solitude, pense me faire du bien mais à tort.
Je ne veux pas la voir. Je la relis une fois de plus et la jette
dans la poubelle. A l’étage, notre chambre est un champ de bataille.
Les draps sont à terre. Seul un oreiller mal formé est resté sur
le matelas, juste à côté de la tâche de sang. L’armoire est restée
ouverte sur sa penderie. Il a pris une veste et est parti.
Dans la salle
de bains, le miroir brisé et encore des gouttes de sang le long
des plinthes. Je décide de les nettoyer. Le sang part facilement.
J’ai l’habitude d’effacer ses traces, mes traces. Je ne suis plus
écœurée, ni même perturbée. La Javel sur mes plaies réveillent les
douleurs de la nuit. Je lâche un cri pour exorciser ce mal temporaire,
inéluctable et récurrent. Devant le lit, mes vêtements arrachés,
tachés, blessés. Ma culotte est un peu détendue, mais je crois qu’elle
pourra être réutilisée. Mon soutien gorge écartelé n’a pas eu autant
de chance. Je finis de ranger puis sort sur le balcon pour respirer
son absence.
Dehors le vent
a cessé pour une chaleur printanière accueillante. Du haut de mon
corridor, le panorama me permet de voir ses traces sur la plage
jusqu’à St Malo. Du haut de ce promontoire, je sens l’orage qui
bientôt va grogner. Une ombre à l’horizon se détache sur l’étendue
jaune. Cette ombre agacée revient au foyer. De cette carcasse se
dégage une forte beauté, une extrême volonté. Ce matin, il est parti
se promener, mais déjà midi s’annonce et mon amour revient à mes
côtés. Je quitte le balcon pour éviter qu’il me voit et m’habille
en conséquence.
Je passe devant
la poubelle et retire la lettre pour la relire de nouveau. Aucune
ambiguïté dans les choix, et les conséquences. Je parcours les mots
clés, je retourne les phrases pour les éviter. J’observe la forme
de l’enveloppe. Il ouvre la porte d’entrée. Je déchire la lettre.
Aujourd’hui
encore, je fais l’effort de rester.
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