Il y a plus
de trois ans, on parlait déjà du Web indépendant.
On en parlait déjà par opposition au Web commercial.
On disait déjà qu'il aurait du mal à survivre
face à la pub, aux sites de vente, etc. Ce que l'on craignait
le plus, c'était la montée de la pub. On nous polluait
notre Web.
Pour beaucoup, à cette époque déjà lointaine,
le Web était un moyen incomparable d'accéder à
la connaissance, de rencontrer des êtres humains, de partager
des idées. Mais il y a seulement deux ans, les sites culturels
et universitaires ne représentaient plus que 10 % du temps
total passé sur Internet. Mi-2000, ce chiffre est tombé
à moins de 2 %.
Depuis, la pub
a tout envahi. Les méga groupes de communication, à
coup de fusion et d'échanges d'actions se sont répartis
le gâteau. Même la pub, ce que l'on craignait le plus
il y a quelques années, est entrée dans les murs.
Et ce n'est pas grave.
Il n'y a pas d'autre moyen viable de financer certains sites. Même
si imdb.com (Internet Movie Database) appartient désormais
au monstre américain Amazon, même si on s'y fait abreuver
de pub, c'est quand même la plus grande base de données
sur le cinéma dont on puisse rêver. Et ne fantasmons
pas trop : un tel site, bien qu'initié par des bénévoles,
ne peut pas fonctionner sans argent. Non, je le répète,
ça, ce n'est pas trop grave.
Ce qui m'inquiète
le plus, c'est que le Web est en train d'avilir les internautes.
On peut dire ce qu'on veut de la télé, mais parfois,
le Web peut la dépasser en connerie. Avec un "business
model " fondé sur le nombre de visiteurs, certains sites
vont tout faire pour faire grimper l'audience. Je ne prendrai que
deux exemples.
En Allemagne, un site a grimpé dans les scores d'audience
en quelques jours. C'est le site de l'émission de RTL2 "BigBrother".
Le principe est simple : un groupe d'étudiants est logé
dans une maison truffée de Webcams (même dans la salle
de bains...). Pire, les abonnés ont même droit à
la caméra infrarouge dans les chambres. A lui seul, ce site
a fait doubler le nombre d'utilisateurs de RealPlayer ! On a flatté
les penchants voyeuristes de nos amis teutons, et malheureusement,
ça a marché. Ils sont venus par millions se rincer
il, malgré les temps de connexion, la piètre
qualité et l'insupportable banalité des images. Toutes
les semaines, les internautes décidaient quel étudiant
serait viré.
Eliminer les moins performants, ça n'a pas des relents de
déjà-vu ?
Le deuxième exemple joue avec notre côté vénal.
Comme je le disais, la plupart des boites Internet sont valorisées
par leur nombre de visiteurs. Poussant le raisonnement à
son paroxysme, certains sont prêts à payer les internautes
pour qu'ils voient leurs pubs. Et ça devient complètement
délirant. On voit fleurir les loteries gratuites, où
l'on peut gagner des paquets de fric sans miser un rond, juste en
cliquant sur une pub pour valider sa grille ! Pire encore, les programmes
de fidélisation. Là vous êtes payés en
fonction du nombre de sites partenaires que vous visitez. On voit
même surgir une nouvelle monnaie, que vous pourrez dépenser
sur les sites affiliés !
Les internautes vont-ils surfer uniquement en fonction de ce qu'ils
peuvent gagner ?
Comme on est loin du rêve de la culture universelle à
portée de clic !
Comment sera
l'Internet dans deux ans ? Si les analystes financiers n'ont pas
compris d'ici-là que chaque internaute est valorisé
dix fois, les programmes de fidélisation, les "payés
pour surfer", etc. auront une place énorme dans le PIF
(Paysage Internet Français).
C'est peut-être ce qui nous permettra de surfer avec des ISP
gratuits.
D'un côté, on aura une façade, une légitimité
de sites culturels, mais au fond, on trouvera les pires merdes que
l'on puisse imaginer ! De l'autre (le nôtre !), on supportera
ça, mais au moins on pourra surfer...
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