Le Fauteuil en Velours Brun
 

En fermant les yeux, immobile sur mon fauteuil brun, je pouvais être ailleurs, dans la cabine d'un navire au coeur du pacifique, dans un bar somptueux de Lisbonne, sur le sable sec d'une île de corail, sur la première herbe d'un alpage isolé. Je me chauffais au soleil du feu, le chat avait la souplesse d'un serveur stylé apportant un cocktail subtil (Singapore Sling : frapper trois parts de Cherry-Brandy, trois parts de gin et une part de jus de citron au shaker. Diluer de soda ou d'eau plate) et je tenais un livre au bout de mon bras pendant, imaginant ses premiers mots...

 
Ecrits sur la musique de Bernard Shaw - Bouquins
Studer et le caporal extralucide de Friedrich Glauser - 10x18
Deux messieurs bien sous tous rapports de William Corlett
Le Capitaine Ecarlate de Guibert & David B. - Aire Libre
Sur la mort du Major Sabines de Jaime Sabines - Myriam Solal
Bridget Jones de Helen Fielding
Neige de Maxence Fermine- Arléa
Cadavre X de Patricia Cornwell
 
 
Ecrits sur la musique de Bernard Shaw - Bouquins

A priori destiné aux hyper-spécialistes de la musique classique telle qu'on la jouait à Londres à la fin du 19ème siècle, l'ouvrage s'est comme on dit choisi une niche. Et pas des plus lucratives, qui plus est (à meilleure preuve, mon exemplaire était offert pour deux titres achetés dans la même collection). Pourquoi en parler, alors ? C'est que, même en passant à côté de 90% des références qui y pullulent, la lecture en reste agréable, voire salutaire. Personnellement, chaque fois que mon optimisme et ma foi en l'homme atteignent des proportions telles que ma femme s'en alarme, j'ouvre ces écrits et j'en parcours quelques pages au hasard.
Shaw est du genre exigeant. Sur une cinquantaine d'articles ainsi piochés, je n'ai guère noté plus de deux noms ayant trouvé grâce à ses yeux. Nous sommes en présence d'un maître dans l'art de la critique, ou plus précisément de ce genre d'éloges qui vous font plus mal que la plupart des papiers incendiaires. Comme cette façon de complimenter telle cantatrice entendue la veille, et coutumière des opéras de Mozart, pour son intelligence à avoir choisi un répertoire plus en rapport avec ses dons naturels (elle y avait donné une interprétation de chansons folkloriques irlandaises). Et tout à l'avenant. Mais Shaw peut se permettre d'être exigeant. Ecrits dans une langue remarquable -et remarquablement traduite -, sans une once de compromis, ses articles restent des modèles du genre. Pas de sacrifice à l'opinion du moment. Pas de facilité dans l'argument. Une source d'inspiration inépuisable pour ceux qui se décideraient enfin à déclarer à leur entourage tout le bien qu'ils pensent de lui sans sombrer pour autant dans le vocabulaire de corps de garde. .

FXS
 
 
Studer et le caporal extralucide de Friedrich Glauser - 10x18

" Un temps considéré comme le Simenon Suisse ". Ainsi l'éditeur parle-t-il de Friedrich Glauser, écrivain au destin bref et tourmenté dont la seule découverte suffirait à nous le rendre sympathique. Il est vrai que Studer rappelle Maigret par certains côtés. Pas tout jeune ; affublé d'une femme agaçante à force d'être parfaite, douce, attentionnée, discrète, intelligente. Mais les ressemblances s'arrêtent là. Malgré son expérience, Studer a gardé une naïveté, une capacité d'émerveillement devant les hommes, un coeur d'artichaud, bref, une humanité qui fait le charme de ce polar pas comme les autres. Le personnage est plein de petits paradoxes tranquillement assumés. Son enquête n'a pas la netteté d'un Agatha Christie, son univers pas le désespoir d'un grand roman noir. Il croit tenir l'affaire de sa carrière, mais hausse les épaules à la pensée de la vanité de la récompense. Attaché à sa Suisse natale, il est pourtant sans cesse en vadrouille, de Paris à Oran en passant par Besançon, puis dans les montagnes de l'Atlas qu'il traverse à dos de mulet, engoncé dans son imperméable. Policier opiniâtre, cherchant la vérité quand on ne la lui demande pas, il emprunte pourtant l'identité d'un mort. Bourgeois tranquille, il s'irrite à la pensée d'être grand-père. Il fuit son pays sur les traces d'une fille de vingt ans et, à peine la frontière franchie, sa femme lui manque. Un instant perdu devant l'inconnu, l'instant suivant faisant l'expérience du hashish au fin fond de l'Algérie, en compagnie d'un homme rencontré quelques instants auparavant. C'est au fil des rencontres que le lecteur prend la mesure du personnage. Incohérent comme un homme peut l'être. Sans préjugés. Intoxiqué à sa pipe, au vin, à sa ville de Berne, aux parties de billard qu'il y dispute chaque semaine. Malgré son apparence bourrue, il attire à lui des personnages étranges, petits fonctionnaires transportant une culture encyclopédique et inutile dans le dédale kafkaïen des couloirs de la PJ, moines à moitié fous, paysans algériens, surgissant dans l'histoire, ébauchés en deux coups de crayon et inquiétants comme des héros de Dostoïevski. Aucun n'est vraiment sympathique. Tous sont touchants.
Ecrit dans une langue classique que rompt cette surprenante science du portrait, mélange de fatalité et d'imprévus, livre d'aventures au pas tranquille d'un quinquagénaire, Studer et le caporal extralucide ne réjouira pas la jet-set de la culture, avide de sensations fortes et de violence improbable. Encore un bon point pour lui. A lire exclusivement les week-ends pluvieux d'automne, dans un fauteuil en velours brun.

FXS
 
 
Deux messieurs bien sous tous rapports de William Corlett

Dans le classique petit village de la campagne anglaise, le château est acheté par un couple d'homosexuels londoniens et fortunés. Le choc de culture est évidemment plutôt rude. La littérature anglaise nous a donné nombre d'auteurs spécialisés dans les situations cauchemardesques et les quiproquos délirants, de Woodhouse à Sharpe, et force est d'avouer qu'ils s'y entendent fort bien pour vous faire déraper dans le plus qu'improbable avec le plus grand sérieux. L'auteur a clairement lu tous les classiques du genre et sait ce qui lui reste à faire. Bon, le problème, c'est qu'il n'a peut-être pas tout le détachement absurde pour se livrer à un bon jeu de massacre, comment vous dire, on sent un peu trop de vécu là-dedans, non pas que je soupçonne Corlett d'être " une folle perdue " comme il est dit dans son bouquin (il y a des traductions qui me laissent rêveur), mais il doit avoir de sacrés comptes à régler avec l'Angleterre profonde. Le résultat est plutôt décevant : pas assez méchant, des ficelles grosses comme le bras (c'est une expression que j'ai toujours rêvé de mettre dans une critique) et finalement pas très drôle. Bref, c'est pas le livre anglais de l'année, ce qui tombe bien, vu qu'il a déjà trois ans.

EM
 
 
Le Capitaine Ecarlate de Guibert & David B. - Aire Libre

Biographie imaginaire de Marcel Schwob (1867-1905). Le voici debout, maladif, sur la planche qui le ramène a son public, sévère et juste, 1000 pieds plus bas. Marcel, lecteur & conteur, pleure de cette mort si belle qu'il n'aurait jamais osé rêvée. Paris sous ses pieds, et la princesse de ses jours - de leurs nuits - l'écoute au bastingage. Il raconte l'histoire d'un roi masqué d'or. Face à lui, guidant les boucaniers de son âme brûlante, le masque du Capitaine Ecarlate est d'or et paisible, on pourrait dire : bienveillant. Derrière, son visage est une falaise au bord de la mer. Je n'invente rien ! Il est le souffle de l'aventure. Stevenson et Lautrec parlent un argot de flibuste dans un quotidien figé mais romanesque. Guibert au trait rugueux et coloré, précis et évasif comme un voilier la nuit, apaise cette violence inouïe par une tendresse à fleur de page. Puis vient à bout portant ! brûler ses écoutilles sur la joncaille des riches ! Pleurez et jurez compères ! La mer survole Paris. Sur l'opéra un navire, voiles en lambeaux, est venu se crever.

NA
 
 
Sur la mort du Major Sabines de Jaime Sabines - Myriam Solal

Ecrire un recueil de poèmes sur la mort d’un père, mêler à cette mort la haine et la souffrance de l’attente du grand départ, la transformer en une révolte intérieure contrôlée et visionnaire, tel est le pari de Algo sobre la muerte del Mayor Sabines où l’auteur essaye de nous transmettre sa complainte au travers d’un texte simple mais efficace. Un cri de douleur, une rencontre avec son intimité tout en métaphore et en rythme, une danse de mots qui nous renvoie à nos propres démons, à cette angoisse naturelle de sentir la dernière marche de la vie se dérober sous nos pieds et de constater alors l’étendue des dégâts pour ceux qui restent. Ajoutez-y la brutalité d’une souffrance dénudée, l’accablant mélange de tendresse et d’amour perdus, remuez, et vous trouverez au-delà de l’horreur de la mort, la beauté du souvenir, la simplicité d’un recueillement qui ne veut pas être dompté.
Pour les amoureux de langues du Sud, l’ouvrage se compose de l’édition originale et de sa traduction française. Je suis sûr que les bilingues apprécieront cet effort d’édition.
A la seconde lecture – car j’ai senti le besoin de le relire dans la foulée les textes – une deuxième digestion permet d’apprécier la construction de sa révolte et son cheminement dans la souffrance.
La lecture de ce recueil dans une atmosphère musicale Mano Soloesque est fortement déconseillée.

OB
 
 
Bridget Jones de Helen Fielding

Dans la série "on me cache tout, on me dit rien", je ne connaissais pas Bridget Jones, il a fallu que le deuxième tome sorte en librairie pour que je découvre ça. De deux choses l'une, si vous avez déjà tout lu, pardonnez mon retard (j'ai vécu 6 ans dans un monastère à l'écart du monde pour écrire LE poème parfait, d'ailleurs, il est publié dans KaFkaïens sous le titre "la mort du teckel"), sinon, allez-y sans remords, c'est très rigolo. C'est exactement le croisement d'Ally McBeal et d'Absolutly Fabulous, si vous voyez ce que je veux dire : un peu trash, très angoissé, limite parano, très drôle en somme. Le premier tome est un régal, à la fois journal intime et reportage en direct, dans un style journalistique parfaitement au point (le texte est publié à l'origine dans un journal). Les angoisses de cette célibataire de trente ans, entourée de psychotiques tout à fait normaux (sa famille), de névropathes hystériques charmantes (ses amis), et d'enfoirés affectifs (ses amants), sont vraiment marrants, quoique, à l'âge que j'ai, certains trucs sont un peu trop vrais, vous voyez ? Le second tome est moins bien, parce qu'il est à mon avis difficile de tenir plus de 300 pages de quotidien. Pour relancer la machine, il faut inventer des péripéties (style un séjour dans une prison pour trafic de drogues en Thaïlande) qui alourdissent un peu le récit et le tire vers moins de proximité. Parce que c'est ça qui est agréable, cette intimité avec ce miroir (un peu) déformant, qui s'en sort comme nous, dans l'à-peu-près, et qui lutte contre la peur tenace et fort commune de mourir seule et abandonnée et qu'on la retrouve trois semaines plus tard dévorée par son berger allemand. C'est plutôt chouette quoi (le livre, pas le berger allemand), moi, si j'étais vous, je le prendrais à la bibliothèque avant qu'ils ne fassent payer le prêt. .

EM
 
 
Neige de Maxence Fermine- Arléa

Existe-t-il un pays aussi différent que le Japon ? Existe-t-il un peuple aussi impénétrable que les japonais ? Existe-t-il une poésie aussi...japonaise que le haiku ? Comment alors imaginer un roman japonais écrit par une occidentale ?
Neige mériterait d'avoir été écrit par un japonais. C'est un livre emprunt de cette beauté zen que l'on ne trouve que dans les jardins des temples zen de Kyoto.
Neige nous raconte la création des haikus, ces petits poèmes de trois vers et dix-sept syllabes qui disent la beauté de la nature :
"Vent hivernal
Un prêtre shintô
Chemine dans la forêt"
Ce roman est trop court pour que j'en dévoile l'histoire. On y parle de la recherche du blanc, des couleurs, de la beauté. Cette quête, but de tout poète, est celle de Maxence Fermine, et aussi d'Arléa, la maison d'édition : du style à la mise en page, un livre superbe.

LN
 
 
Cadavre X de Patricia Cornwell

Hé les gars ! Arrêtez d'essayer de nous faire croire que c'est de la littérature. C'est un documentaire peu précis sur le travail des médecins légistes tout au plus. Quant aux remarques sur la brutalité de la police française, Cornwell a du oublier la délicate interpellation de Rodney King. Et je préfère ne pas parler des stupides comparaisons que Cornwell s'amuse à faire entre les institutions judiciaires françaises et américaines. A lire sa description de la France, tout porte à croire qu'elle y a passé quinze jours à faire la route des vins, et en a retiré quelques impressions générales dont elle s'est contentée pour son roman. Comme elle, un américain bourré aux as en goguette en ballade à Lyon pourrait recommander l'hôtel de la Tour Rose comme " petit hôtel charmant et pittoresque " (c'est l'hôtel le plus cher de Lyon, en plein quartier historique). Mais j'en ai déjà trop dit sur ce que Cornwell pense de la France. On va croire que c'est ce qui me fait dire que son livre est mauvais. Pas du tout évidemment. J'aurais dit la même chose d'Hannibal, qui lui ressemble fort dans ses invraisemblances et dans sa méthode d'écriture.

La méthode d'écriture, voilà le cœur du problème. Rien que le nom fait réfléchir. La méthode d'écriture, c'est la recette de Patricia Cornwell, de Thomas Harris, ou celle de tant d'autres auteurs américains. Les ingrédients sont relativement peu nombreux : un certain style, une solide documentation, une touche de culture européenne, une intrigue à la mode et une solide opération de marketing.

Un style reconnaissable tout d'abord. Attention, il ne s'agit pas d'un style d'écriture, mais d'un style de personnalité. Thomas Harris fera dans les tueurs en série, Cornwell dans le policier documentaire… Le style personnel dans l'écriture est au contraire à proscrire : il faut que la lecture soit aisée et le style doit donc être neutre et lisible sans effort par tous. C'est bien simple : le style d'écriture n'existe pas et l'on tient un langage simple, voire simplifié, ce qui en passant est favorisé par l'usage de l'anglais et amplifié par les traductions rapides. Le style personnel de l'auteur est bien plus important, car il tient une place prépondérante dans la stratégie de communication qui accompagnera la sortie du livre.

Le deuxième ingrédient de notre recette est une solide documentation qui permet d'affirmer une autorité que l'on ne conquiert plus par l'intelligence de ses propos. Ainsi Tom Clancy est-il très précisément renseigné sur les caractéristiques de la moindre des armes utilisées dans ses récits, ainsi Cornwell parle-t-elle en experte des services légistes. Une autorité maximale est recherchée : Cornwell a, nous dit-on abondamment, passé six mois à travailler dans une morgue, Clancy est un ancien conseiller militaire. La documentation technique en lieu et place de la culture littéraire pour meubler abondamment le récit, et atteindre le nombre de pages imposé par le format optimal pour la distribution de l'ouvrage. Il est plus important de montrer que l'on est bien documenté que d'alimenter correctement son récit par des détails vraisemblables.

Le troisième ingrédient obligatoire consiste à ajouter un soupçon de culture européenne. Cela vise à donner à l'auteur une touche d'universalité, à permettre de remplir les vides par quelques généralisations absconses mais néanmoins exotiques, et accessoirement à augmenter la pénétration de l'ouvrage sur le marché européen. Les références sont visiblement tirées de guides touristiques, sans doute potassés lors de séjour en Europe. La vision ainsi transmise est exaspérante d'inexactitude, de grossières et insultantes généralités. Quelques opinions tranchées ont sans doute été glanées lors de repas mondains avec des autochtones, dont il est difficile de ne pas deviner la pertinence de fins lettrés bourgeois. L'image ainsi donnée par Cornwell du système judiciaire français à de quoi faire frémir, comme celle donnée par Harris de la police italienne dans Hannibal. Et dire que les éditeurs européens font publicité dans leurs jaquettes de ces jugements de leur propre pays, parce qu'ils tiennent avant tout à avoir l'honneur (pécuniaire !) de publier ces inoubliables auteurs américains, qui semblent avoir toujours beaucoup de mal à supporter que les nations européennes puissent être à l'origine culturelle de ce monde qu'ils essayent à présent de réguler, avec de pitoyables résultats !

Pour poursuivre la recette, il faut tout de même avoir une intrigue . Après tout, il faut bien que le livre raconte quelques chose. La mise en scène d'un tueur en série ou d'un complot d'espionnage mêlant trafic de drogue et pouvoir politique est actuellement la clé du succés. Une dimension fantastique ajoute du piment, même s'il faut l'introduire au prix d'invraisemblances que l'on camouflera tant bien que mal. Ou parfois pas du tout, cela a en définitive peu d'importance.

Enfin, pour que notre recette soit réussie, il faut ajouter un dernier ingrédient aux quatre précédents qui composent l'ouvrage : un bonne campagne de marketing. Elle débute par une approche d'un public ciblé, qui pèsera sur la rédaction de l'ouvrage et même sur le choix de l'auteur, qui , puisqu'il est tellement mis en avant, a nécessairement des traits de personnalité auxquels le public visé puissent s'identifier (ou bien se démarquer dans le cas des écrivains comme Stephen King, version moderne). La rédaction de l'ouvrage est ponctuée d'annonce visant à entretenir un suspense artificiellement provoqué sur le contenu de l'ouvrage, que l'on présente déjà comme " terriblement documenté ". La sortie du livre est le point de départ d'une véritable guerre médiatique, pour laquelle les carnets d'adresses et les relations de pouvoir entre les éditeurs et les médias tournent à plein régime. Ainsi a-t-on pu voir au journal de vingt heures un présentateur s'extasier devant Patricia Cornwell, et célébrer avec elle combien son dernier ouvrage était solidement documenté (images de la morgue à l'appui). Certains prix nobels de littérature n'ont jamais eu cette chance.

En définitive, nous savons pourquoi les américains ne comprennent pas l'exception culturelle, et pourquoi ils tiennent absolument à faire de l'écrit une marchandise. Pour eux, le livre l'est déjà. Et ne m'accusez pas de généraliser abusivement…

PmM
 
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