Quatre
centimètres - un an
J'y suis presque. Encore un petit effort. Depuis le temps que je
rêve de ce moment. Le but est proche, quelques centimètres.
Après tant d'attente, je pourrais presque le toucher des
doigts, mais je préfère savourer et continuer par
petites étapes. Je suis si près qu'une bouffée
d'émotion me gagne. Mon cur s'accélère,
mon souffle devient court. Mon front se couvre de fines gouttelettes.
Ma respiration devient de plus en plus haletante. Le stress augmente
comme si, maintenant, j'avais peur. Comme si cette année
d'attente, depuis notre première rencontre, ne pesait plus
rien...
Trois
centimètres - un mois
Au prix d'un effort titanesque, j'ai réussi à
m'approcher un peu. Mes lèvres touchent presque les siennes.
Pourtant, le moindre mouvement devient de plus en plus dur. Comme
dans un rêve, j'ai l'impression de m'éloigner à
chaque tentative. Je commence à me demander si nos lèvres
se rencontreront un jour. Je sens son haleine se mêler à
le mienne. Sa respiration s'est accélérée,
aussi. J'y vois ce même mélange de désir et
de retenue que je sens en moi. Ses yeux fixent les miens, elle se
demande pourquoi je ne l'embrasse pas tout de suite. Pourtant elle
connaît, elle partage mes hésitations. Lorsque je l'ai
revue, il y a un mois, nous nous sommes à nouveau sentis
irrationnellement attirés. J'ai aussi appris qu'elle avait
un copain. C'était comme si elle était mariée,
en fait. Je sais que ce baiser peut détruire son couple.
Cette responsabilité me fait peur. Alors que nos lèvres
sont prêtes à se toucher, une même hésitation
nous retient de faire le geste définitif, celui qui transforme
des fantasmes inconséquents en actes irrévocables.
Je lis dans ses yeux une insupportable excitation. Du désir
et de la retenue naît un sentiment de frustration intolérable.
Nous luttons tous les deux contre les mêmes forces qui nous
attirent et nous repoussent.
Deux centimètres
- un jour
Quelle énergie m'a-t-il fallu pour m'approcher encore un
peu d'elle ! Nous avons légèrement tourné la
tête, afin que nos nez se croisent, sans se cogner comme lors
de mes premiers baisers d'adolescents. Ses yeux se superposent.
J'ai tout près de moi une cyclope souriante, haletante et
indécise. Pourtant, elle semblait avoir pris sa décision
hier. Nous avons discuté presque toute la nuit, sans nous
toucher. A force de frustration, notre attirance était devenue
si obsessionnelle que nous avons conclu qu'il fallait essayer. Hier
donc, après des heures de chaste jeu de séduction,
nous avons convenu de ce rendez-vous, durant lequel ce qui devait
se passer pourrait arriver sans contrainte.
Un centimètre
- une minute
Cette fois, c'est elle qui s'est avancée. Je suis resté
immobile, pétrifié. Les forces opposées qui
me déchirent raidissent mes muscles, les tétanisent.
Je ne peux plus bouger, alors que nous nous touchons presque. Je
me sens comme aspiré vers elle par une force que la proximité
décuple. La peur devient panique, la certitude de faire une
connerie sans lendemain me donne envie de fuir et parvient à
peine à me retenir. Elle n'ose pas non plus matérialiser
cette minute suspendue en un acte définitif. Nos fantasmes
refoulés luttent avec nos raisons. Nous nous regardons, figés,
exténués.
Deux centimètres
- un jour
Instinctivement,
d'un même mouvement à peine perceptible, nous nous
sommes écartés. Au même instant, nous avons
compris que l'autre, malheureusement, ne prendrait pas la décision.
Un sourire douloureux apparaît sur ses lèvres. On y
lit tout à la fois les restes d'une passion, le désir,
le soulagement comme après un effort, la déception,
et déjà, la déchirure d'une séparation.
Demain on se croisera, gênés. On n'osera pas se regarder.
On regrettera de n'être pas allés au bout. On aura
des remords d'être déjà allés aussi loin.
Trois
centimètres - un mois
Cette fois, c'est vraiment fini. Une volonté surhumaine
m'a comme tiré en arrière. L'excitation qui faisait
palpiter mon coeur s'est muée en une angoisse profonde. Celle
de la perdre, déjà, sans même l'avoir embrassée.
La sueur quitte mon front pour se concentrer, froide, au creux de
mon ventre. Je sais que ce malaise disparaîtra, et que dans
un mois, il ne me restera plus qu'un souvenir douloureux. Elle semble
se résigner. Dans sa respiration plus profonde, je crois
entendre un soupir de déception.
Quatre
centimètres - un an
Une force centrifuge nous écarte petit à petit. Cette
fois, c'est le désir qui se fait résistance. La distance
nous permet de nous voir à nouveau. Notre situation, notre
avenir nous paraissent plus clairs. Il ne se sera jamais rien passé
entre nous. Dans un an, je pourrai lui parler sans que l'angoisse
ne serre mon estomac. La force d'attraction diminue, et je sens
que la séparation sera de plus en plus facile.
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