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... nnante galerie de vénérables... Peu de voyageurs osent pousser aussi loin en avant leurs délicats orteils cloutés dans le monastère de Wuyou. Silence imposant et quelques vapeurs d'encens embrument les allées secrètement fermées sur des jardins intérieurs. Pas âme qui vive. Les derniers moines ont quitté le Temple, contraints par la Révolution. Nous en avons tout à l'heure croisés quelques-uns en pèlerinage, toge, casquette et sac-à-dos...

Une assemblée d'hommes sages, vêtus des robes traditionnelles à lourde couture, occupe le dernier sanctuaire où nous pénétrons à présent. Les voici, alignés de part et d'autre de chaque allée. On en compte plus de 500, assis en tailleur. Est-ce leur recueillement que protège le monstre félin de pierre noire tapi à l'entrée, derrière son rideau de bambou ? L'atmosphère est lourde d'une odeur de pierre humide et de parfums. Tout est immobile, paisible, méditatif et abouti, intemporel. Les visages vivants et colorés des patriarches nous observent d'un oeil de terre cuite...

Nous avançons, gênés, dans des couloirs enchevêtrés selon une trame en grille. A droite comme à gauche, les visages austères, sagement rangés, nous accueillent. Austères ? (Sssschbliiiing !!...) Les sourcils, blancs et froncés, à ce point abondants qu'ils leur descendent jusqu'à la taille, sont le signe de leur très grande vertu. Au-dessus de chacun d'eux, un long ruban vertical est couvert d'idéogrammes indéchiffrables. On y découvre leur nom, leur vie, leur rôle, leurs efforts pour approcher l'éveil...

Celui-ci, au crâne proéminent et bossu, est le maître Song-Tsu, illustre connaisseur du Livre du Wu. A sa droite, un singe sur l'épaule, se tient le voyageur taoïste Xuanzang. Il semble se remémorer, dans un sourire amusé, la longue vie qui l'a conduit à comprendre l'âme du Cochon aux Huit Voeux. Qi-Tao, ermite de la province du Lan-Zhou, porte sur lui tous les attributs iconographiques de son rapport intime avec le Bouddha : protubérance crânienne, seuil du sur-esprit et symbole du turban royal, ventre haut, lobe auriculaire allongé par des bijoux trop longtemps portés puis offerts aux plus pauvres, paupières mi-closes et sourire discret...

Là !!! (Sssschbliiiing !! ... et Dzzzaang !!)...

Deux statues gigantesques, dorées et surchargées de décorations et parures sacrées, surgissent à l'angle de la seconde allée, au coeur du sanctuaire. Regards haineux et multiples bras vengeurs !! On recule d'une case, impressionnés... On se sent puni d'une curiosité mal venue. On regrette notre voyeurisme sacrilège.

Pourtant...

Ce clin d'oeil joyeux du bouddha à notre gauche ? La grimace du vénérable derrière lui... Où sommes-nous tombés ? Après la stupeur et l'adrénaline de notre pas en trop, voici que l'on se retrouve comme le dupe d'une farce de potache. A bien y regarder, cette assemblée de vieux sages a plus avoir avec une photo de classe de collégiens effrontés et rieurs qu'avec un tribunal d'ancêtres respect...

 
 
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