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Tombouctou n'existe
pas.
Il faut aller
marcher entre les maisons de pierre et les mosquées de terre, arpenter
les places désertées, explorer les marchés
grouillants, errer entre le fleuve et le désert, flotter entre le
sable et le sable, il faut être allé à Tombouctou pour comprendre
la totale non-existence de cette ville.
Tombouctou :
des rues de sable, des enfants qui jouent, des moutons indolents,
des touaregs mystérieux, des ânes entravés à l'ombre, des tentes
dans les cours ouvertes, des femmes en boubou, des groupes d'hommes
qui boivent du thé, une grand-place de sable, Al-Farouk le génie
tutélaire, l'appel à la prière, le vent chaud, un dromadaire blatérant,
un marché couvert, un marché ouvert, des plaques de sel venues
par caravane, des portes décorées donnant sur des cours basses,
et l'eau bue par le sable dans les rues, et les fours à pain ouvrant
leurs gueules noires, et les rires, et les sourires, et la curiosité,
et le soleil de plomb.
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La Tombouctou
des hommes qui y vivent n'est pas celle que j'imaginais. Ce n'est
surtout pas celle que je venais chercher. La Tombouctou des hommes
est une ville perdue, mais une ville vivante. Les enfants y jouent
en sortant de l'école. Les femmes y travaillent encore et toujours
dans le carcan d'une société qui leur impose sa loi
dévoyée. Les hommes y boivent du thé à
l'ombre des murs bruns. Les fours à pain sont encore chauds
le soir. Le soleil y baigne les mêmes aventures, les mêmes
intrigues et les mêmes drames que partout ailleurs. Mais ce n'est
la Tombouctou mythique.
Ce n'est pas Tombouctou la mystérieuse. |
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Que faut-il faire
pour trouver la Tombouctou que j'étais venu voir ?
Quitter la ville ? Partir dans le soleil couchant vers les portes
du désert, vers cet autre horizon lointain et mythique, dans
ce non-lieu de sable, moi qui rêvais aux heures les plus noires
de partir sans eau marcher entre les dunes pour ne plus revenir ? A
quelques pas des quartiers excentrés où nous avons trouvé
refuge, les dunes commencent à s'étendre, les chèvres
se font plus rares, dans l'air tout est différent : désert
de sable au sol, désert humain. Il s'agit ici d'une autre aventure
que celle de Tombouctou. D'autres mythes, d'autres rêves, l'espoir
d'une méharée vers une oasis salvatrice, le sable comme
une rédemption, comme une pureté que l'on pourrait atteindre.
Mais ce n'est pas Tombouctou... |
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Retournons à
la ville. Réfléchissons. Tombouctou n'existe pas,
cette ville où je me trouve, isolée au bout de sa
route unique, cette ville existe-t-elle ? Pour l'atteindre, qu'ai-je
fait ? Qu'est ce que Tombouctou ?
Tombouctou n'existe
vraiment que lorsqu'on veut l'atteindre.
Tombouctou,
c'est avant tout la piste qui y mène. Surtout quand il a
fallu vingt ans pour parcourir cette piste. Rêve et mythe
ne se concrétisent jamais.
Je me suis arrêté avant Tombouctou, et c'est bien là
le plus important. Des heures de piste difficile, le sable traître,
la chaleur, les épineux qui bordent les ornières,
les cahots, l'eau qui manque, les roues plantées qu'il faut
désensabler à la main, la voiture qui dérape
et heurte un arbre, la peur légère et l'excitation,
le sentiment d'irréalité, la confusion et le découragement,
l'espoir à la fin de la piste et puis, par dessus tout, l'attente
merveilleuse, au bord du fleuve-dieu, l'attente d'un bac hypothétique.
Merveilleuse frustration qui nous prive de notre but au moment où
nous croyions l'atteindre, qui nous ravit la ville attendue et qui
en prolonge le mystère.
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De l'autre coté
du fleuve, les dunes nous appellent. Mais nous savons que leurs chants
de sirènes essaient de nous détourner du droit et cahoteux
chemin. Il nous faudra atteindre la ville coûte que coûte
pour constater que c'est ici, sur ce rivage de sable, face à
ce fleuve gigantesque, au bout de notre piste et de notre fatigue,
pour constater que c'est ici même que nous avons atteint Tombouctou. |
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PmM |
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