J'allai vous
raconter une histoire, sur un coin de scène dans le tout Paris,
lorsque je l'ai rencontré : Dédé, mon démon protecteur. Au début,
je le prenais pour mon conseiller de carrière, puis il m'a détourné
dans de sombres recoins, vers les chemins glissants de l'Enfer ;
bien loin de vous.
J'allai vous
raconter une histoire, mon histoire, dans un bistrot quelconque,
autour d'un café ou d'une bonne bière. Vous auriez souri devant
ma prestance et rapidement conquise, je vous aurais montré mon paradis,
pas si loin du ciel entre mon canapé et le plateau télé.
Mais c'était
sans compter sur Dédé, le fameux démon de la brasserie du rond-point,
juste en face de la fontaine d'Asnières, dans cette banlieue délicieusement
propice aux rencontres sataniques. Le matin sentait bon les cacahouètes
chaudes et la boisson anisée quand il pénétra silencieusement dans
le bistrot, s'accoudant au comptoir à quelques pas de moi. Vous
vous en souvenez peut-être, nous étions en conversation intensive
depuis un quart d'heure. J'essayai de vous convaincre, par portable
interposé, d'une rencontre, le soir même, dans un des restaurants
près d'Alésia. Vous sembliez hésiter pour exciter mon désir. Nous
jouions à savoir qui était le gibier, qui était le chasseur.
J'allai vous
raconter mon histoire, ma double existence d'immortel, quand Dédé
prit le portable pour couper court à la conversation. Son regard
était aussi fuyant que ses paroles qui sifflaient sommairement sur
le zinc. Il m'extirpa du comptoir trop en vue pour que nous allions
laver notre linge sale en famille. Il me parla de vous.
Vous vous appelez
Carla.
Vous n'êtes
pas la dernière née de la mode parisienne. Vous n'êtes la petite
bourgeoise à la bouche pulpeuse et aux pensées délicieusement cadrées
par des pulsions stéréotypées du film du samedi soir. Vous n'êtes
pas la proie facile que les serviteurs de Glaaki poursuivent dans
la nuit pour les attirer dans l'abîme. Vous n'avez pas peur de votre
existence lorsque vous rencontrez vos propres fantômes dans les
recoins de vos échecs.
Vous êtes cette
chose tombée du ciel, poursuivie par les astres et les dieux, soignée
d'un halo de bienfaisance et de triste bonheur. Vous êtes née sous
la bonne étoile, et non sans raison. Vous êtes notre contrepoids,
l'Opposant, une chasseresse aux tristes palmarès.
J'allai vous
raconter ma double existence d'immortel, ma vie séduisante de démon
du plaisir, mais Dédé m'a ouvert les yeux sur vos desseins angéliques.
Je ne serai pas le prochain nom sur la longue liste de vos victimes.
Tant de cousins ont succombé à vos paroles et à vos lois : Mephystos,
Carlos, Nyologotha, François, Serge et j'en passe...
Je ne vous reverrai
pas Carla. Non pas que votre âme me soit insignifiante. Au contraire,
j'aurais pris beaucoup de plaisir à souiller votre nom, votre corps,
et vos progénitures. Mais nos destins sont faits pour ne jamais
se croiser. Je suis votre gibier, Archange Carla, et jamais plus
vous ne me retrouverai.
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