L'expédition de 1608, nous l'avons dit, aura d'importantes conséquences dans le développement des litteratures démoniaques. Même si personne ne sait exactement pourquoi.
Les faits sont pourtant là : si les différentes tendances des L.i. antérieures à l'arrivée des armées royales sont toujours présentes en nombre de nos jours (nous avons expliqué ce processus dans notre introduction), elles ne sont plus cependant qu'une minorité. Une véritable explosion de genres différents prenant place, sans encore une fois qu'on ne sache l'expliquer, dans les années qui suivirent 1608.
Le caractère commun de ces genres, leur caractère fictif, n'est en tout cas pas sorti de nulle part comme certains ont bien tenté de nous le faire croire. Le sternostag'sp, la biographie de Sterno à Eklet qui n'est en aucun cas postérieure à 1598, fait déjà état de tentatives indiscutables dans ce sens. Les rêves de Sterno et les prédictions de gloire accrue et à venir que le rédacteur anonyme fait sur son compte sont suffisament éloignés, même si extrêmement timides, de la réalité immédiate pour que l'on puisse les classer comme fiction.
Mais ce qui sera sans aucun doute commun après 1608 est la volonté d'écrire du materiel imaginaire. Peut-être pas la capacité. Une telle volonté, que certains pensent être née de la confrontation avec le grand roi Henry, apparaît en effet au premier abord étrangère à la nature démoniaque. Il est significatif que les premières oeuvres de ce type - et encore de nos jours les plus populaires - furent, dès janvier 1609, des comptabilités fictives ! Confrontés à un concept à ce point perturbant, les écrivains démoniaques n'avaient d'autre choix que de revenir au stage le plus ancien et le mieux maîtrisé de leur littérature. C'est ainsi que sont toujours produites chaque année des milliers de pages de bilans imaginaires se rapportant à des entreprises fictives, la plupart du temps de type commercial. Une étude récente semblerait suggérer qu'une telle activité serait pour de jeunes écrivains un moyen de se rôder avant de se lancer dans des oeuvres de fiction plus audacieuses, mais cela n'explique ni la présence continue de "maîtres" avérés du genre, tel Aymery le Marin dont la première oeuvre date de 1721 et qui écrit encore de nos jours, ni le succès considérable que ces "oeuvres" rencontrent depuis près de quatre siècles.
Cela n'empêcha en tout cas pas d'autres écrivains d'évoluer rapidement, dès 1612 les premiers récits de damnations fictives firent leur apparition, puis les frontières commencèrent à se brouiller. Les premières oeuvres de fiction mettant en scène des démons furent incontestablement écrites dans le style des biographies précédentes, comme on pouvait s'y attendre, mais peut-on les classer parmi celles-ci ou leur appliquer le label romanesque? Certains placent la limite de démarcation à une date aussi tardive que 1682 avec la parution du Marchand de bois du Nord qui le premier s'attacha à un épisode particulier de la vie d'un personnage. D'autre remontent à Ixthulain'sp et la date de 1615. Le débat reste bien entendu ouvert et pour beaucoup stérile vu l'ampleur des remous que devait provoquer en 1657 les premières lectures de L'Omnidemonium.
Le caractère particulier, et d'un point de vue démoniaque, scandaleux de L'Omnidemonium tient au fait que, pas une seule fois au cours des 12500 pages de ce livre particulièrement somnifère, il n'est fait mention d'un seul humain. Deux Cherubiim, Hellar et Qweysh, et un Azael, A-Alkass, se mettent d'accord pour organiser une caravane commerciale vers Rébago et se battent contre les hasards et dangers du chemin ainsi que les contraintes bureaucratiques. Arrivés à destination, ils se séparent et ne se reverront plus. Un bon tiers du livre est occupé par les livres de compte de l'entreprise faisant de ce récit la première oeuvre infernale à mélanger ainsi deux genres et n'ajoutant hélas rien à la joie de la lecture. Mais l'Omnidemonium fera scandale dans toutes les sphères de la vie infernale : la vie des démons tournant à ce point autour des humains, toute oeuvre remettant en cause cela remettait en cause le système tout entier. Il fut rapidement interdit, même si à ce jour de nombreuses copies circulent toujours sous le manteau et pendant un temps (de 1725 à 1782) toute oeuvre de fiction avec lui. L'interdiction a depuis été restreinte à l'Omnidemonium et une poignée de livres similaires. Mais, même clandestin, le domaine des méta-littératures est de loin le plus créatif de toutes les littératures infernales.
|