Texte fondateur
de l'Internationale Démoniaque |
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Quelle
est l'opposition qui n'a pas été accusée de démonocentrisme
par ses adversaires au pouvoir? Quelle est l'opposition qui, à son
tour, n'a pas renvoyé à ses adversaires infernaux l'épithète infamante
de démonocentriste?
Il
en résulte un double enseignement.
Déjà
le démonocentrisme est reconnu comme une puissance par tous
les cercles de l'enfer.
Il
est grand temps que les démonocentristes exposent à la face
de l'enfer entier, leurs conceptions, leurs buts et leurs tendances;
qu'ils opposent au conte du spectre démonocentriste un manifeste
du Parti Démoniaque lui-même.
C'est
à cette fin que des démonocentristes de toutes les régions
de l'enfer se sont réunis et ont rédigé le Manifeste suivant.
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I
- Hommes et démons |
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Homme et démon,
damné exigeant et démon esclave, humain et ange déchu,
en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont
mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée,
une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire
réprimée par les flammes, soit par la destruction
des deux classes en lutte.
Dans les premières
époques historiques, nous constatons presque partout une organisation
complète de la société en classes distinctes, une échelle graduée
de conditions sociales. Dans l'enfer antique, nous trouvons des
damnés supérieurs, des damnés barbares, des
démons en servage, des esclaves de l'ordre divin; dans l'enfer
du moyen âge, des damnés en indulgence, des damnés
achetant leur pardons, des démons sans contrôle sur
le sort des damnés, des esclaves de la volonté supérieure
et, de plus, dans chacune de ces classes, une hiérarchie particulière.
La société moderne
des damnés, élevée sur les ruines de l'enfer aboli des temps
passés, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a
fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions
d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.
[...]
L'humanité
damnée a joué dans l'histoire de l'enfer un rôle éminemment
révolutionnaire.
Partout où elle
a imposé sa loi par les contraintes divines, elle a foulé
aux pieds les relations infernales issues de la déchéance.
Tous les liens complexes et variés qui unissent le démon
naturel à sa nature divine rejetée, elle les a brisés sans
pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et le
démon, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement
au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse,
de l'enthousiasme infernal, de la sentimentalité démoniaque
dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité
satanique une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses
libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté
de l'ordre divin. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient
les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation
ouverte, éhontée, directe, brutale.
L'humanité
damnée a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui
passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un
saint respect. Le diable tortureur, le dépouilleur d'âmes,
le tentateur, elle en a fait des salariés à ses desseins de propagande.
L'humanité
damnée a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait
les relations de famille infernale et les a réduites à n'être que
de simples rapports de loi divine.
L'humanité
damnée a révélé comment la brutale manifestation de la force
lors des invasions de l'enfer, si admirée de la réaction humaine,
trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est
elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité
humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les éphémères
pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, ou les cathédrales gothiques
: elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions
infernales et les croisades.
Poussée par
le besoin de débouchés toujours nouveaux, de conquêtes religieuse,
l'humanité damnée a envahit l'enfer entier. Il lui
faut s'implanter partout, exploiter partout, réduire l'enfer
à un épouvantail pour ses enfants turbulents.
[...]
Mais l'humanité
damnée n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront
à mort; elle a produit aussi ceux qui manieront ces armes, les démons
révoltés..
A mesure que
grandit l'humanité damnée, c'est-à-dire l'invasion
des lois divines, se développe aussi la révolte des démons,
la classe des anges déchus qui ne vivent qu'à la condition
d'effectuer le travail requis et qui n'en trouvent que si ce travail
accroît l'importance des lois divines. Ces démons, contraints
de se vendre au jour le jour (un comble), sont une marchandise,
un article de commerce comme un autre; ils sont exposés, par conséquent,
à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations
du marché infernal ordonné par les émissaires angéliques.
[...]
Enfin, au moment
où la lutte des classes approche de l'heure décisive, le processus
de décomposition de la classe dominante, de la vieille humanité
tout entière, prend un caractère si violent et si âpre qu'une petite
fraction des damnés se détache de celle-ci et veut se rallier
à la classe démoniaque révolutionnaire, à la classe qui porte
en elle l'avenir. De même que, jadis, une partie de l'humanité
se damna volontairement, de nos jours une partie des damnés
passe à l'enfer.
De toutes les
classes qui, à l'heure présente, s'opposent aux damnées,
les démons révoltés par leurs conditions seuls
constituent une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes
périclitent et périssent avec l'évolution de l'enfer; les
nouveaux démons, au contraire, en sont le produit le plus
authentique.
La lutte des
démons contre les damnés, bien qu'elle ne soit pas,
quant au fond, une lutte restreinte à chaque cercles de l'enfer,
en revêt cependant tout d'abord la forme. Il va sans dire que les
démons de chaque cercle doivent en finir, avant tout, avec
leurs propres damnés.
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II
- Démons et démonocentristes |
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Quelle
est la position des démonocentristes par rapport à l'ensemble
des démons ?
Les démonocentristes
ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis démoniaques.
Ils n'ont point
d'intérêts qui les séparent de l'ensemble des démons.
Ils n'établissent
pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler
le mouvement démoniaque.
Les démonocentristes
ne se distinguent des autres partis démoniaques que sur deux
points: 1. Dans les différentes luttes des démons à
travers les cercles, ils mettent en avant et font valoir les intérêts
indépendants du cercle et communs à tout les démons. 2. Dans
les différentes phases que traverse la lutte entre démons
et damnés, ils représentent toujours les intérêts du mouvement
dans sa totalité.
Pratiquement,
les démonocentristes sont donc la fraction la plus résolue
des partis démoniaques de tous les cercles de l'enfer, la
fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur
le reste des démons l'avantage d'une intelligence claire
des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement
démoniaque.
Le but immédiat
des démonocentristes est le même que celui de tous les partis
démoniaques: constitution des démons en classe, renversement
de la domination des damnés, conquête du pouvoir politique
par les démons.
Les conceptions
théoriques des démonocentristes ne reposent nullement sur
des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur
de l'enfer.
Elles ne sont
que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de
classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos
yeux. L'abolition des rapports de hiérarchie qui ont existé
jusqu'ici n'est pas le caractère distinctif du démonocentrisme.
[...]
"Sans doute,
dira-t-on, les idées religieuses, morales, philosophiques, politiques,
juridiques, etc., se sont modifiées au cours du développement historique
de l'enfer. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique,
le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations.
"Il y a de plus
des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc.,
qui sont communes à toutes les organisations infernales. Or, le
démonocentrisme abolit les vérités éternelles, il abolit
la religion imposée et la morale démoniaque au lieu
d'en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement
historique antérieur."
A quoi se réduit
cette accusation? L'histoire de tous les enfers jusqu'à nos jours
était faite d'antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les
époques, ont revêtu des formes différentes.
Mais, quelle
qu'ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l'exploitation
d'une partie de la société (les démons) par l'autre (les
damnés) est un fait commun à tous les siècles passés. Donc,
rien d'étonnant si la conscience démoniaque de tous les siècles,
en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines
formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement
qu'avec l'entière disparition de l'antagonisme des classes.
La révolution
démonocentriste est la rupture la plus radicale avec le régime
traditionnel de l'ordre divin; rien d'étonnant si, dans le cours
de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec
les idées traditionnelles.
[...]
Cependant, pour
les cercles de l'enfer les plus évolués, les mesures
suivantes pourront assez généralement être mises en application:
1. Abolition
des diktats divins et réappropriation de la morale divine
pour les besoins de l'enfer.
2. Contribution
démoniaque à la torture des damnés fortement
diminuée.
3. Abolition
de l'héritage des charges démoniaques.
4. Confiscation
des biens de tous les damnés.
5. Centralisation
du jugement des âmes entre les mains du prince des enfers,
au moyen d'un tribunal infernal, dont le jury appartiendra à l'enfer
et qui jouira d'un monopole exclusif.
6. Centralisation
entre les mains de l'enfer de tous les moyens de torture.
7. Multiplication
des instituts infernaux et des instruments de torture; défrichement
des terrains inexplorés et amélioration topologique de l'enfer,
d'après un plan d'ensemble.
8. Travail démoniaque
obligatoire pour tous; organisation d'armées démoniaques,
particulièrement pour les tâches les plus ingrates.
9. Combinaison
de la prise en charge des damnés et du travail démoniaques;
mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction
entre les cercles de l'enfer.
10. Education
publique et gratuite de tous les démons mineurs.
Les antagonismes
des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute
la morale infernale étant concentrée dans les mains des individus
associés, alors le pouvoir infernal perd son caractère politique.
Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé
d'une classe pour l'oppression d'une autre. Si les démons,
dans leur lutte contre les damnés, se constitue forcément
en classe, s'ils s'érigent par une révolution en classe dominante
et, comme classe dominante, détruisent par la violence l'ancien
régime moral de l'enfer, ils détruisent, en même temps que ce régime
moral, les conditions de l'antagonisme des classes, ils détruisent
les classes en général et, par là même, leur propre domination comme
classe.
A la place de
l'ancienne société de la morale divine imposée, avec ses
classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où
le libre développement de chacun est la condition du libre développement
de tous.
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III - Littératures
infernaliste et démonocentriste |
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[...]
Les premières
tentatives directes des démons pour faire prévaloir leurs
propres intérêts de classe, faites en un temps d'effervescence générale,
dans la période du renversement de la société humaine féodale, échouèrent
nécessairement, tant du fait de l'état embryonnaire de l'action
démoniaque elle-même que du fait de l'absence des conditions
matérielles de l'émancipation démoniaque, conditions
qui ne peuvent être que le résultat de l'époque damnée. La
littérature révolutionnaire qui accompagnait ces premiers mouvements
démoniaques a forcément un contenu réactionnaire. Elle préconise
un ascétisme infernal et un égalitarisme grossier.
Les systèmes
infernalistes et démonocentriste proprement dits, oeuvres
utopique d'Abbadon le mineur, font la critique du régime divin et
formulent un programme lui substituant une société fondée sur les
principes de l'association. Abbadon le mineur estima que dans la
nouvelle société tout le monde doit travailler et le rôle des hommes
doit correspondre à leurs succès dans le travail. Cependant Abbadon
le mineur laissait intacts les règles tacites de la morale
divine, désapprouvait la lutte politique et la révolution, ne comprenait
pas la mission historique des démons: il pensait que les
réformes gouvernementales et l'éducation morale de l'enfer dans
l'esprit d'une religion nouvelle conduiraient à l'abolition des
contradictions de classes.
Les inventeurs
de tels systèmes se rendent bien compte de l'antagonisme des classes,
ainsi que de l'action d'éléments dissolvants dans la société dominante
elle-même. Mais ils n'aperçoivent du côté des démons aucune
initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit propre.
Comme le développement
de l'antagonisme des classes marche de pair avec le développement
de l'industrie de damnation, ils n'aperçoivent pas davantage les
conditions matérielles de l'émancipation des démons et se
mettent en quête d'une science sociale infernale, de lois infernales,
dans le but de créer ces conditions.
A l'activité
sociale infernale, ils substituent leur propre ingéniosité; aux
conditions historiques de l'émancipation, des conditions fantaisistes;
à l'organisation graduelle et spontanée des démons en classe,
une organisation de la société fabriquée de toutes pièces par eux-mêmes.
Pour eux, l'avenir de l'enfer se résout dans la propagande et la
mise en pratique de leurs plans de société.
Dans la confection
de ces plans, toutefois, ils ont conscience de défendre avant tout
les intérêts de la classe démoniaque, parce qu'elle est la
classe la plus souffrante. Pour eux les démons n'existent
que sous cet aspect de la classe la plus souffrante.
Mais la forme
rudimentaire de la lutte des classes, ainsi que leur propre position
sociale les portent à se considérer comme bien au-dessus de tout
antagonisme de classes. Ils désirent améliorer les conditions matérielles
de la vie pour tous les membres de l'enfer, même les plus privilégiés,
même les damnés. Par conséquent, ils ne cessent de
faire appel à l'enfer tout entièr sans distinction, et même ils
s'adressent de préférence à la classe des damnés. Car, en
vérité, il suffit de comprendre leur système pour reconnaître que
c'est le meilleur de tous les plans possibles du meilleur des enfers
possibles.
Ils repoussent
donc toute action politique et surtout toute action révolutionnaire;
ils cherchent à atteindre leur but par des moyens pacifiques et
essayent de frayer un chemin au nouvel évangile infernal par la
force de l'exemple, par des expériences en petit qui échouent naturellement
toujours.
La peinture
fantaisiste d'un enfer futur, à une époque où les démons,
peu développés encore, envisagent leur propre situation d'une manière
elle-même fantaisiste, correspond aux premières aspirations instinctives
des démons vers une transformation complète de l'enfer.
Mais les écrits
infernalistes et démonocentristes renferment aussi des éléments
critiques. Ils attaquent l'enfer existant dans ses bases. Ils ont
fourni, par conséquent, en leur temps, des matériaux d'une grande
valeur pour éclairer les démons. Leurs propositions positives
en vue de l'enfer future—suppression de l'antagonisme entre
les cercles, abolition de la morale divine, du droit divin et de
l'obligation de torture, proclamation de l'harmonie infernale et
transformation de l'enfer en une simple administration de la société
des démons—, toutes ces propositions ne font qu'annoncer
la disparition de l'antagonisme de classe, antagonisme qui commence
seulement à se dessiner et dont les faiseurs de systèmes ne connaissent
encore que les premières formes indistinctes et confuses. Aussi,
ces propositions n'ont-elles encore qu'un sens purement utopique.
L'importance
de l'infernalisme et du démonocentrisme critico-utopiques
est en raison inverse du développement historique. A mesure que
la lutte des classes s'accentue et prend forme, cette façon de s'élever
au-dessus d'elle par l'imagination, cette opposition imaginaire
qu'on lui fait, perdent toute valeur pratique, toute justification
théorique. C'est pourquoi, si, à beaucoup d'égards, les auteurs
de ces systèmes étaient des révolutionnaires, les sectes que forment
leurs disciples sont toujours réactionnaires, car ces disciples
démoniaques s'obstinent à maintenir les vieilles conceptions
de leurs maîtres en face de l'évolution historique des démons.
Ils cherchent donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la
lutte des classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent
à rêver la réalisation expérimentale de leurs utopies infernales
: —établissement de phalanstères isolés, fondation d'une petite
Géhenne. Gerith appelait de ce nom ses sociétés communistes
modèles. Les phalanstères étaient des palais sociaux imaginés par
Abbadon le mineur. On donnait le nom de petite Géhenne à
l'enfer utopique dont Sabbhath a décrit les institutions communistes.
Et pour la construction de tous ces châteaux en enfer, ils se voient
forcés de faire appel au coeur et à la caisse des philanthropes
damnés. Petit à petit, ils tombent dans la catégorie des
infernalistes réactionnaires ou conservateurs dépeints plus haut
et ne s'en distinguent plus que par un pédantisme plus systématique
et une foi superstitieuse et fanatique dans l'efficacité miraculeuse
de leur science infernale.
Ils s'opposent
donc avec acharnement à toute action politique de la classe démoniaque,
une pareille action ne pouvant provenir, à leur avis, que d'un manque
de foi aveugle dans le nouvel évangile infernal.
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IV
- Position des démonocentristes envers les différents
partis de l'enfer |
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[...]
En somme, les
démonocentristes appuient en tous cercles de l'enfer tout
mouvement révolutionnaire contre l'ordre infernal et divin existant.
Dans tous ces
mouvements, ils mettent en avant la question de la morale divine
à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question
fondamentale du mouvement.
Enfin, les démonocentristes
travaillent à l'union et à l'entente des partis infernaux de tous
les cercles de l'enfer.
Les démonocentristes
ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets.
Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints
que par le renversement violent de tout l'ordre divin passé.
Que les damnés
et les anges tremblent à l'idée d'une révolution démonocentriste!
Les démons
n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un enfer nouveau
à y gagner.
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Démons
de tous les cercles de l'Enfer, unissez-vous ! |
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