Je n'ai pas
envie de vous rappeler ici la dichotomie de fait entre le web commercial
et le web indépendant. Par web indépendant, on peut entendre une
multitude de réalités : sites culturels bénévoles comme le nôtre, sites
militants de toutes les causes, simple expression d'une envie de
communiquer, pour partager une passion, pour faire connaître quelque
chose, pour trouver un ou une petite amie, pour le plaisir, pour
rien…
De plus en plus,
on peut lire sur le web que le e-commerce va étouffer le web indépendant
et qu'il nous faut trouver des moyens de lutter contre cet état
de fait, en utilisant les armes de l'ennemi, en nous incluant nous
aussi dans cette démarche de la " rentabilité ". Je crois que justement
le web indépendant est non-marchand par nature et c'est ce qui fait
sa force : rien n'est fait pour forcer la chance que nous avons
de nous exprimer dans ce média qui n'a pas son équivalent dans le
rapport coût/diffusion. Que les sites marchands soient de plus en
plus nombreux, où est le problème ? Que je sache, ils ne menacent en
rien l'existence du web indépendant (je crois même qu'ils n'en ont
rien à foutre). A la limite pourquoi se sentir outragé par cette
réalité ? Surtout, pourquoi devrions-nous nous aussi nous lancer
dans la course à l'audience, puisqu'elle est de fait le nouveau
maître-mot d'Internet ? Si plus de lecteurs = plus de reconnaissance,
que pouvons-nous faire pour que KaFkaïens soit plus lu ?
Il est clair
que ce qui fait qu'un site fonctionne (c'est-à-dire parvient à trouver
son public, qu'il soit fait de consommateurs, de lecteurs ou de
curieux), c'est sa visibilité dans le paysage de la toile. Se faire
connaître, c'est le premier objectif de toute entreprise (je parle
au sens large) sur Internet, c'est même devenu un travail rémunéré
(des sociétés proposent de vous faire référencer sur les moteurs
de recherche, une bonne place sur un moteur de recherche pour certains
mots-clefs se monnaie).
Lorsque nous
avons créé KaFkaïens Magazine, nous étions motivés par la
possibilité sans égale de diffusion des textes pour un coût quasiment
nul et, bien sûr, par la volonté de tenter quelque chose de littéraire
avec ce nouveau médium. Ce n'est qu'une fois que le magazine s'est
structuré et surtout que nous avons eu les premiers retours des
lecteurs que nous avons pris conscience du problème de la visibilité
sur la toile. Et comme on n'a rien inventé, c'est ce que disait
récemment l'Ornitho à notre
propos : " La visibilité est un des gros problèmes du web indépendant.
C'est ce qu'on se dit en tombant, presque par hasard, sur "KaFkaïens
- Le magazine de la non-interactivité revendiquée". En effet, comment
avons-nous pu passer à côté de ce site pendant tout ce temps ? "
(merci, l'Ornitho !). Il est clair que ce que ce qui est visible
actuellement sur le web, ce sont les sites marchands, qui disposent
d'autres moyens de communication et de publicité. De là, un intéressant
paradoxe se met en place : nous avons à la fois (et là je parle
pour nous, mais aussi pour bon nombre de sites qui me semblent construits
avec la même volonté que la nôtre) un refus d'apparaître autrement
que dans ce qui nous semble être l'espace que nous maîtrisons (c'est-à-dire,
en gros, les liens par d'autres sites semblables au nôtre, les critiques
qui sont faites à notre propos et les référencements plus ou moins
élogieux des moteurs de recherche et portails) et la difficulté
à admettre que cette prise de parole ne soit susceptible de toucher
qu'une infime partie des internautes.
Il existe peut-être
d'autres moyens (si on exclue le spam systématique des médias) :
nous avons essayé le webring, mais je crois pour ma part que la
visibilité est basée sur la légitimité des sources, or, dans le
webring auquel nous étions inscrits, trop de sites n'avaient rien
à voir avec la littérature et ne présentaient aucun intérêt. Donc,
pas de webring (quoique nous ayons pensé il y a quelques temps à
créer le nôtre, basée sur le principe de la cooptation des membres).
Mais je crois qu'aujourd'hui, le web indépendant n'a pas intérêt
à être trop démonstratif : nous avons une chance qui est celle de
ne pas avoir à tirer parti de notre lectorat. En effet, nous n'avons
pas besoin d'argent et l'on peut se dire qu'à partir du moment où
la visibilité minimale (celle dont je vous parlais plus haut) est
atteinte, et c'est d'ailleurs pour cela que nous avons créé la K-lettre
qui ouvre dans nos pages un espace aux sites qui nous plaisent,
où les relations avec les sites que vous aimez sont amicales, pourquoi
vouloir plus ? J'ai peur qu'en voulant systématiquement diriger
le lecteur, le mettre devant une alternative simplifiée du type
: " lis ça ou la liberté disparaît. ", on perde un peu de vue le
principe du web indépendant et que ce soit la diversité de ce qui
est visible sur le net qui en pâtisse. Je ne crois pas à la fédération
systématique des sites " amis ", je crois à la dispersion et à l'échange
non-organisé.
Le lectorat
de KaFkaïens s'est construit par hasard, par échange, par
lien. Je ne demande pas d'autres lecteurs si ce n'est ceux qui ne
nous connaissent pas et qui vont avoir du plaisir -ou du moins une
réaction quelconque- à nous lire, et je sais qu'eux viendront avec
le temps et le hasard, en continuant ce magazine que je crois de
qualité, justement parce qu'il n'a d'autre exigence que de n'avoir aucun
prix, en fait d'être là pour la beauté du geste et le désir sincère
d'expression.
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