La première route
menant aux Enfer fut découverte à la fin du 16ème siècle par le voyageur
italien Benevito di Marco qui mit d'ailleurs quelques temps à se rendre
compte de la nature exacte de sa découverte. Il marchât ainsi pendant
plus de 3 jours sur la route de Bala'eli, et parvint même en vue des
tours les plus hautes de la cité mythique, exploit que personne de
nos jours n'envisagerait même de réaliser sans l'appui militaire de
la plupart des nations occidentales. Benevito, alors à la tête d'une
expédition cartographique dans les Alpes orientales, ne se rendit
compte de l'horreur de sa situation qu'après l'attaque nocturne d'un
clan de Cherubiim qui coûta la vie à plus de la moitié des membres
de son expédition. Il rebroussa alors chemin et, subissant de lourdes
pertes, parvint à regagner la normalité.
Dans les années qui suivirent
plusieurs expéditions furent envoyées sur la route ouverte par Di
Marco, principalement par le Saint Empire Germanique et la République
Vénitienne. De celles qui revinrent, toutes confirmèrent la nature
infernale de la nouvelle contrée comme étant "évidente à tous ceux
qui s'y rendent" et la présence d'êtres démoniaques en grand nombre;
aussi, après une période d'hésitation bien compréhensible, le Saint
Siège n'eût d'autre choix en octobre 1607 que de se rendre à l'évidence
et d'officialiser l'existence physique et terrestre de la Géhenne.
Certains
évidemment n'attendaient que cela et dès le printemps suivant, Henry
IV, roi de France et de Navarre, lança ce qui est habituellement reconnu
comme étant la première action militaire sérieuse contre les Enfers.
Plus de 6000 cavaliers accompagnés de 3000 hommes de pied, principalement
des mercenaires suisses, et d'artillerie parvinrent à s'avancer jusqu'au
kilomètre 150 de la route de Saar'patha, une percée qui ne serait
pas répétée avant près de deux cents ans. Puis, après une série de
victoires sur des troupes infernales supérieures en nombre, survint
le désastre des champs Cheechyoked où une coalition de Cheribiim et
de Seviriim parvint à bloquer les charges de la cavalerie francaise.
Seul le génie tactique d'un souverain qui avait déjà passé la plus
grande partie de son existence à cheval et en armure permit aux survivants
de l'armée royale de regagner des territoires plus accueillants. Elle
devait ramener, outre de nombreux artefacts et nos premiers écrits
infernaux, des données considérables sur la topographie des lieux,
l'aspect physique et l'organisation militaire des démons ainsi que
leurs armements et tactiques. Elle devait aussi ramener une inquiétante
nouvelle : la présence à la tête des armées démoniaques d'au moins
un général humain qui semblerait avoir joué une part importante dans
la défaite de Cheechyoked.
Enfin les francais ramenèrent les premiers
témoignages de rencontre avec des damnés, qui devaient frapper beaucoup
les imaginations populaires. C'est une chose de s'entendre menacer
des pires châtiments après votre mort, c'en est totalement
une autre de contempler de vos propres yeux les tourments qui vous attendent.
Durant les deux-cent ans qui suivirent un certain nombre d'expéditions
militaires furent envoyées sans résultats appréciables si l'on excepte
la découverte de deux nouvelles routes s'enfonçant en territoire démoniaque.
De celles qui revinrent la plupart confirmèrent la présence d'êtres
humains qu'elles supposèrent damnés à la tête et parfois au milieu
des troupes infernales. Certains même affirmèrent que, bien que semblant
donner des ordres aux démons et organiser leur armée, ces pauvres
âmes étaient toujours torturées par ceux-ci. Ce qui ne faisait en
revanche pas de doute était le génie militaire des généraux en question
et durant près de deux-cent ans les rares armées humaines qui osaient
s'y aventurer devaient être mises en pièces sur les champs de bataille infernaux
et il fallut attendre le début du 19ème siècle pour que l'humanité
produisit un individu capable de rivaliser avec ceux-ci.
En 1802, les
sentiments anti-religieux de la première République Francaise trouvèrent
enfin à s'exprimer dans l'ambitieux projet d'expédition qu'un jeune
général présenta en septembre au nouveau gouvernement issu de la Révolution
de Poitiers. La théorie en était simple : d'après la doctrine des Lumières,
les Enfers ne pouvaient matériellement exister, les territoires qui
s'étendaient au delà des Alpes et du Danube ne pouvaient donc être
fondamentalement différents du monde connu. Etranges peut-être et
certainement peuplés de créatures effrayantes, mais définitivement
terrestres et susceptibles d'être l'objet d'études et peut-être de
conquête. Une expédition militaire guidée par des esprits raisonnables,
dénués de tares superstitieuses, composée de troupes aguerries et
pourvues d'équipement modernes, accompagnée de savants, de cartographes
et d'ingénieurs, devrait en révéler tous les "mystères".
L'expédition
napoléonienne aux Enfers qui partit en mars de l'année suivante fut
par bien des cotés un véritable succès, même si elle ne fut certainement
pas perçue ainsi par ses contemporains. Car ce fut avant tout un succès
coûteux et sanglant... Des trente mille hommes composant la première
armée à franchir le passage de 'Bechan, près de dix mille moururent
pendant les deux premiers mois et quand Napoléon écrivit au gouvernement
provisoire en juin, réclamant des renforts en hommes et en matériel,
nombreuses furent les voix qui s'élevèrent pour demander son rappel
et son exécution. Tel était pourtant le fanatisme de l'Assemblée que
ses demandes furent acceptées et près de vingt-mille troupes fraîches
lui parvinrent fin juillet. Ainsi renforcé, le jeune général put reprendre
sa progression et accomplir l'exploit incroyable d'atteindre le kilomètre
207 sur la route de Saar'patha et d'effectuer une avance de 85 km
sur celle infiniment plus difficile menant à Rebago. Seuls les changements
significatifs s'opérant à ce point dans la physique des régions infernales
et rendant impossible l'utilisation d'armes à feu parvint à stopper
son avance.
L'expédition resta néanmoins plus d'un an et demi dans
les territoires conquis et la moisson en données scientifiques fut
absolument gigantesque. Elle établit sans aucune contestation possible,
et à son corps défendant, la nature supra-normale de l'Enfer, elle
montra les fluctuations intenses subies à tout moment par les lois
et constantes de la physique, les capacités anormales des démons,
leur immortalité, elle attesta la présence des damnés et même en de
rares occasions parvint à rentrer en contact avec ceux-ci. Enfin,
ce qui nous intéresse tout particulièrement, elle ramena de nombreux
artefacts et manuscrits, ainsi que les premiers exemples de livres
infernaux imprimés.
Mais la découverte qui allait sans doute choquer
le plus les populations du monde entier fut celle de la poche des
damnés de Ger, où furent retrouvés presque tous les membres de l'expédition
de Francois 1er, y compris le grand roi lui-même pourtant revenu des
lieux plus de deux siècles auparavant. Cette découverte donna naissance
presque immédiatement aux théories les plus folles, jusqu'à ce qu'en
1822, l'encyclique De natura inferno mette fin aux délibérations en
affirmant la damnation de facto de tout homme ou femme s'aventurant
dans les régions infernales, quel que soit leur motif.
Depuis lors
évidemment les explorations ont presque entièrement cessé et ne
sont plus que le fait d'initiatives individuelles. L'afflux d'artefacts
et d'écrits a lui aussi diminué de facon correspondante sans pourtant
jamais cesser tout à fait. L'un des principaux pourvoyeurs restant
John Johnson, "Demon Killer" qui s'établit dans les régions nords
glacées de la Shéol vers la fin du 18ème siècle et semble jouir là
d'une forme d'immortalité conférée par les lois physiques particulières
du lieu. J. Johnson reste le seul cas enregistré d'être humain accepté
totalement par les démons et "vivant" au milieu de ceux-ci comme un
des leurs. Il est même le personnage central d'un des récits qui nous
sont parvenus. Malgré son caractère répugnant il est un des pourvoyeurs
majeurs d'articles et de nouvelles en provenance des Enfers.
Outre
les livres, il est déprimant de réaliser que les articles infernaux
les plus prisés des collectionneurs comme des musées nationaux sont
les damnés eux-mêmes. Tout le monde connait pour en avoir vu des photographies
les damnés royaux du Louvre, même si rares sont ceux qui se sont
retrouvés face-à-face avec ces grands personnages eux-mêmes. La plupart
de ceux-ci furent ramenés par les chercheurs de l'expédition napoléonienne,
mais ceux que l'on a trouvé dans les collections privées ont souvent
été l'objet de trafics illégaux, voire dans certains cas de contrefaçons
pures et simples. La caractéristique principale de ces pauvres âmes,
qui a obligé les grands musées à en restreindre l'accès à une poignée
de chercheurs, est bien évidemment que, hors d'Enfer ou non, et bien
que soustraites ici à l'influence des démons, elles restent toujours
damnées et qu'il ne semble pas être en notre pouvoir de les sauver.
Les cocons infernaux du Louvre, se tordant de douleur pour l'éternité,
sans espoir de rédemption, constituent ainsi une vision dont nul ne
ressort intact, une expérience sur laquelle se perdent bien
des nuits de sommeil.
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