Manifeste du Démonocentrisme Retour à la page précédente Retour au sommaire de KaFkaïens Magazine
Texte fondateur de l'Internationale Démoniaque
 

Quelle est l'opposition qui n'a pas été accusée de démonocentrisme par ses adversaires au pouvoir? Quelle est l'opposition qui, à son tour, n'a pas renvoyé à ses adversaires infernaux l'épithète infamante de démonocentriste?

Il en résulte un double enseignement.

Déjà le démonocentrisme est reconnu comme une puissance par tous les cercles de l'enfer.

Il est grand temps que les démonocentristes exposent à la face de l'enfer entier, leurs conceptions, leurs buts et leurs tendances; qu'ils opposent au conte du spectre démonocentriste un manifeste du Parti Démoniaque lui-même.

C'est à cette fin que des démonocentristes de toutes les régions de l'enfer se sont réunis et ont rédigé le Manifeste suivant.

 
I - Hommes et démons

 

Homme et démon, damné exigeant et démon esclave, humain et ange déchu, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire réprimée par les flammes, soit par la destruction des deux classes en lutte.

Dans les premières époques historiques, nous constatons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une échelle graduée de conditions sociales. Dans l'enfer antique, nous trouvons des damnés supérieurs, des damnés barbares, des démons en servage, des esclaves de l'ordre divin; dans l'enfer du moyen âge, des damnés en indulgence, des damnés achetant leur pardons, des démons sans contrôle sur le sort des damnés, des esclaves de la volonté supérieure et, de plus, dans chacune de ces classes, une hiérarchie particulière.

La société moderne des damnés, élevée sur les ruines de l'enfer aboli des temps passés, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d'autrefois.

[...]

L'humanité damnée a joué dans l'histoire de l'enfer un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a imposé sa loi par les contraintes divines, elle a foulé aux pieds les relations infernales issues de la déchéance. Tous les liens complexes et variés qui unissent le démon naturel à sa nature divine rejetée, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et le démon, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme infernal, de la sentimentalité démoniaque dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité satanique une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté de l'ordre divin. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

L'humanité damnée a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le diable tortureur, le dépouilleur d'âmes, le tentateur, elle en a fait des salariés à ses desseins de propagande.

L'humanité damnée a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille infernale et les a réduites à n'être que de simples rapports de loi divine.

L'humanité damnée a révélé comment la brutale manifestation de la force lors des invasions de l'enfer, si admirée de la réaction humaine, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les éphémères pyramides d'Egypte, les aqueducs romains, ou les cathédrales gothiques : elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions infernales et les croisades.

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, de conquêtes religieuse, l'humanité damnée a envahit l'enfer entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, réduire l'enfer à un épouvantail pour ses enfants turbulents.

[...]

Mais l'humanité damnée n'a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort; elle a produit aussi ceux qui manieront ces armes, les démons révoltés..

A mesure que grandit l'humanité damnée, c'est-à-dire l'invasion des lois divines, se développe aussi la révolte des démons, la classe des anges déchus qui ne vivent qu'à la condition d'effectuer le travail requis et qui n'en trouvent que si ce travail accroît l'importance des lois divines. Ces démons, contraints de se vendre au jour le jour (un comble), sont une marchandise, un article de commerce comme un autre; ils sont exposés, par conséquent, à toutes les vicissitudes de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché infernal ordonné par les émissaires angéliques.

[...]

Enfin, au moment où la lutte des classes approche de l'heure décisive, le processus de décomposition de la classe dominante, de la vieille humanité tout entière, prend un caractère si violent et si âpre qu'une petite fraction des damnés se détache de celle-ci et veut se rallier à la classe démoniaque révolutionnaire, à la classe qui porte en elle l'avenir. De même que, jadis, une partie de l'humanité se damna volontairement, de nos jours une partie des damnés passe à l'enfer.

De toutes les classes qui, à l'heure présente, s'opposent aux damnées, les démons révoltés par leurs conditions seuls constituent une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes périclitent et périssent avec l'évolution de l'enfer; les nouveaux démons, au contraire, en sont le produit le plus authentique.

La lutte des démons contre les damnés, bien qu'elle ne soit pas, quant au fond, une lutte restreinte à chaque cercles de l'enfer, en revêt cependant tout d'abord la forme. Il va sans dire que les démons de chaque cercle doivent en finir, avant tout, avec leurs propres damnés.

 
 
II - Démons et démonocentristes
 

Quelle est la position des démonocentristes par rapport à l'ensemble des démons ?

Les démonocentristes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis démoniaques.

Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble des démons.

Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement démoniaque.

Les démonocentristes ne se distinguent des autres partis démoniaques que sur deux points: 1. Dans les différentes luttes des démons à travers les cercles, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants du cercle et communs à tout les démons. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre démons et damnés, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les démonocentristes sont donc la fraction la plus résolue des partis démoniaques de tous les cercles de l'enfer, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste des démons l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement démoniaque.

Le but immédiat des démonocentristes est le même que celui de tous les partis démoniaques: constitution des démons en classe, renversement de la domination des damnés, conquête du pouvoir politique par les démons.

Les conceptions théoriques des démonocentristes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur de l'enfer.

Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition des rapports de hiérarchie qui ont existé jusqu'ici n'est pas le caractère distinctif du démonocentrisme.

[...]

"Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales, philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées au cours du développement historique de l'enfer. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit se maintenaient toujours à travers ces transformations.

"Il y a de plus des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont communes à toutes les organisations infernales. Or, le démonocentrisme abolit les vérités éternelles, il abolit la religion imposée et la morale démoniaque au lieu d'en renouveler la forme, et cela contredit tout le développement historique antérieur."

A quoi se réduit cette accusation? L'histoire de tous les enfers jusqu'à nos jours était faite d'antagonismes de classes, antagonismes qui, selon les époques, ont revêtu des formes différentes.

Mais, quelle qu'ait été la forme revêtue par ces antagonismes, l'exploitation d'une partie de la société (les démons) par l'autre (les damnés) est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d'étonnant si la conscience démoniaque de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu'avec l'entière disparition de l'antagonisme des classes.

La révolution démonocentriste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de l'ordre divin; rien d'étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles.

[...]

Cependant, pour les cercles de l'enfer les plus évolués, les mesures suivantes pourront assez généralement être mises en application:

1. Abolition des diktats divins et réappropriation de la morale divine pour les besoins de l'enfer.

2. Contribution démoniaque à la torture des damnés fortement diminuée.

3. Abolition de l'héritage des charges démoniaques.

4. Confiscation des biens de tous les damnés.

5. Centralisation du jugement des âmes entre les mains du prince des enfers, au moyen d'un tribunal infernal, dont le jury appartiendra à l'enfer et qui jouira d'un monopole exclusif.

6. Centralisation entre les mains de l'enfer de tous les moyens de torture.

7. Multiplication des instituts infernaux et des instruments de torture; défrichement des terrains inexplorés et amélioration topologique de l'enfer, d'après un plan d'ensemble.

8. Travail démoniaque obligatoire pour tous; organisation d'armées démoniaques, particulièrement pour les tâches les plus ingrates.

9. Combinaison de la prise en charge des damnés et du travail démoniaques; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre les cercles de l'enfer.

10. Education publique et gratuite de tous les démons mineurs.

Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute la morale infernale étant concentrée dans les mains des individus associés, alors le pouvoir infernal perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre. Si les démons, dans leur lutte contre les damnés, se constitue forcément en classe, s'ils s'érigent par une révolution en classe dominante et, comme classe dominante, détruisent par la violence l'ancien régime moral de l'enfer, ils détruisent, en même temps que ce régime moral, les conditions de l'antagonisme des classes, ils détruisent les classes en général et, par là même, leur propre domination comme classe.

A la place de l'ancienne société de la morale divine imposée, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.

 
 
III - Littératures infernaliste et démonocentriste
 

[...]

Les premières tentatives directes des démons pour faire prévaloir leurs propres intérêts de classe, faites en un temps d'effervescence générale, dans la période du renversement de la société humaine féodale, échouèrent nécessairement, tant du fait de l'état embryonnaire de l'action démoniaque elle-même que du fait de l'absence des conditions matérielles de l'émancipation démoniaque, conditions qui ne peuvent être que le résultat de l'époque damnée. La littérature révolutionnaire qui accompagnait ces premiers mouvements démoniaques a forcément un contenu réactionnaire. Elle préconise un ascétisme infernal et un égalitarisme grossier.

Les systèmes infernalistes et démonocentriste proprement dits, oeuvres utopique d'Abbadon le mineur, font la critique du régime divin et formulent un programme lui substituant une société fondée sur les principes de l'association. Abbadon le mineur estima que dans la nouvelle société tout le monde doit travailler et le rôle des hommes doit correspondre à leurs succès dans le travail. Cependant Abbadon le mineur laissait intacts les règles tacites de la morale divine, désapprouvait la lutte politique et la révolution, ne comprenait pas la mission historique des démons: il pensait que les réformes gouvernementales et l'éducation morale de l'enfer dans l'esprit d'une religion nouvelle conduiraient à l'abolition des contradictions de classes.

Les inventeurs de tels systèmes se rendent bien compte de l'antagonisme des classes, ainsi que de l'action d'éléments dissolvants dans la société dominante elle-même. Mais ils n'aperçoivent du côté des démons aucune initiative historique, aucun mouvement politique qui lui soit propre.

Comme le développement de l'antagonisme des classes marche de pair avec le développement de l'industrie de damnation, ils n'aperçoivent pas davantage les conditions matérielles de l'émancipation des démons et se mettent en quête d'une science sociale infernale, de lois infernales, dans le but de créer ces conditions.

A l'activité sociale infernale, ils substituent leur propre ingéniosité; aux conditions historiques de l'émancipation, des conditions fantaisistes; à l'organisation graduelle et spontanée des démons en classe, une organisation de la société fabriquée de toutes pièces par eux-mêmes. Pour eux, l'avenir de l'enfer se résout dans la propagande et la mise en pratique de leurs plans de société.

Dans la confection de ces plans, toutefois, ils ont conscience de défendre avant tout les intérêts de la classe démoniaque, parce qu'elle est la classe la plus souffrante. Pour eux les démons n'existent que sous cet aspect de la classe la plus souffrante.

Mais la forme rudimentaire de la lutte des classes, ainsi que leur propre position sociale les portent à se considérer comme bien au-dessus de tout antagonisme de classes. Ils désirent améliorer les conditions matérielles de la vie pour tous les membres de l'enfer, même les plus privilégiés, même les damnés. Par conséquent, ils ne cessent de faire appel à l'enfer tout entièr sans distinction, et même ils s'adressent de préférence à la classe des damnés. Car, en vérité, il suffit de comprendre leur système pour reconnaître que c'est le meilleur de tous les plans possibles du meilleur des enfers possibles.

Ils repoussent donc toute action politique et surtout toute action révolutionnaire; ils cherchent à atteindre leur but par des moyens pacifiques et essayent de frayer un chemin au nouvel évangile infernal par la force de l'exemple, par des expériences en petit qui échouent naturellement toujours.

La peinture fantaisiste d'un enfer futur, à une époque où les démons, peu développés encore, envisagent leur propre situation d'une manière elle-même fantaisiste, correspond aux premières aspirations instinctives des démons vers une transformation complète de l'enfer.

Mais les écrits infernalistes et démonocentristes renferment aussi des éléments critiques. Ils attaquent l'enfer existant dans ses bases. Ils ont fourni, par conséquent, en leur temps, des matériaux d'une grande valeur pour éclairer les démons. Leurs propositions positives en vue de l'enfer future—suppression de l'antagonisme entre les cercles, abolition de la morale divine, du droit divin et de l'obligation de torture, proclamation de l'harmonie infernale et transformation de l'enfer en une simple administration de la société des démons—, toutes ces propositions ne font qu'annoncer la disparition de l'antagonisme de classe, antagonisme qui commence seulement à se dessiner et dont les faiseurs de systèmes ne connaissent encore que les premières formes indistinctes et confuses. Aussi, ces propositions n'ont-elles encore qu'un sens purement utopique.

L'importance de l'infernalisme et du démonocentrisme critico-utopiques est en raison inverse du développement historique. A mesure que la lutte des classes s'accentue et prend forme, cette façon de s'élever au-dessus d'elle par l'imagination, cette opposition imaginaire qu'on lui fait, perdent toute valeur pratique, toute justification théorique. C'est pourquoi, si, à beaucoup d'égards, les auteurs de ces systèmes étaient des révolutionnaires, les sectes que forment leurs disciples sont toujours réactionnaires, car ces disciples démoniaques s'obstinent à maintenir les vieilles conceptions de leurs maîtres en face de l'évolution historique des démons. Ils cherchent donc, et en cela ils sont logiques, à émousser la lutte des classes et à concilier les antagonismes. Ils continuent à rêver la réalisation expérimentale de leurs utopies infernales : —établissement de phalanstères isolés, fondation d'une petite Géhenne. Gerith appelait de ce nom ses sociétés communistes modèles. Les phalanstères étaient des palais sociaux imaginés par Abbadon le mineur. On donnait le nom de petite Géhenne à l'enfer utopique dont Sabbhath a décrit les institutions communistes. Et pour la construction de tous ces châteaux en enfer, ils se voient forcés de faire appel au coeur et à la caisse des philanthropes damnés. Petit à petit, ils tombent dans la catégorie des infernalistes réactionnaires ou conservateurs dépeints plus haut et ne s'en distinguent plus que par un pédantisme plus systématique et une foi superstitieuse et fanatique dans l'efficacité miraculeuse de leur science infernale.

Ils s'opposent donc avec acharnement à toute action politique de la classe démoniaque, une pareille action ne pouvant provenir, à leur avis, que d'un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile infernal.

[...]

 
 

 

IV - Position des démonocentristes envers les différents partis de l'enfer
 

[...]

En somme, les démonocentristes appuient en tous cercles de l'enfer tout mouvement révolutionnaire contre l'ordre infernal et divin existant.

Dans tous ces mouvements, ils mettent en avant la question de la morale divine à quelque degré d'évolution qu'elle ait pu arriver, comme la question fondamentale du mouvement.

Enfin, les démonocentristes travaillent à l'union et à l'entente des partis infernaux de tous les cercles de l'enfer.

Les démonocentristes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre divin passé.

Que les damnés et les anges tremblent à l'idée d'une révolution démonocentriste!

Les démons n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un enfer nouveau à y gagner.

 
 
Démons de tous les cercles de l'Enfer, unissez-vous !
 
ohoui@kafkaiens.org vos réactions ahnon@kafkaiens.org
  KaFkaïens Magazine - Tous droits réservés Retour à la page précédente Retour au sommaire de KaFkaïens Magazine