Ma vie ne m'appartient
plus. Pardon, l'expression est un peu usée, mais je n'en ai pas
de meilleure. Cette fois, je ne me fais pas d'idées, je n'invente
pas. J'ai vérifié. Je peux le sentir en moi. Dans la journée, il
y a des moments où je l'oublie presque, mais la nuit... la nuit
! Et plus cette présence me fait mal, plus j'en éprouve de plaisir
- et de crainte. Etrange comme cela a modifié ma vie. Je dois faire
attention à mes gestes, à ce que je mange. Je ne suis déjà plus
la même, ni de dedans, ni de dehors. Il grandit en moi, il m'envahit,
il me dévore. Il est en train de prendre toute la place. Et je l'ai
voulu. Oh ! je l'ai tant voulu !
Ce matin, je
me suis habillée, maquillée, presque comme pour une cérémonie. Je
me suis dit : " Tu dois rester coquette. C'est maintenant que tout
commence, maintenant qu'il est là. Si tu veux le garder, si tu ne
veux pas te laisser entièrement dominer, submerger, il faudra qu'il
t'admire toute sa vie. Qu'il te trouve la plus belle. Sinon, il
partira. Et alors, que te restera-t-il, ce jour-là ? Que te restera-t-il
s'il s'en va ? Mourir ? " Il me semble désormais que ma vie n'avais
pas d'autre but. Attendre et préparer sa venue. Etre une, enfin,
en étant deux. Pour lui, vouloir et obtenir le meilleur, parce qu'il
est déjà la meilleure partie de moi. Parce que ma vie toute entière
est déjà la sienne. Tout ce que j'ai, ce que je suis, tout ce que
je suis, tout ce que j'ai vu, je veux qu'il ait tout, qu'il sache
tout de moi, jusque dans les plus petits détails, les moments d'intimité
que je n'ai confiés à personne, je lui raconterai. Il devra tout
savoir, ne rien oublier et ne rien me cacher. Oh, je ne supporterais
pas que rien nous sépare, qu'il devienne quelqu'un d'autre, quelqu'un
! et être écartée de sa vie. Etre poussée en dehors, comme cela
arrive si souvent. Je ne supporterais pas de le partager. Est-ce
que je me partage, moi ? Je lui appartiens toute entière. Nul homme
ne me touchera plus. Comment pourrais-je connaître le plaisir sans
lui ? Ca n'a pas de sens. Désormais, nous ne serons que l'un à l'autre,
lui un autre prolongement de moi, un autre moi, moi.
Mon fils. Par
moi, tu as déjà vécu plus de vingt ans. Quand je serai morte, tu
porteras encore mon âme.
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