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Je ne m'appartiens plus. Je suis désolé, le mot est désuet, mais je n'en ai pas de meilleur.
Ce n'est pas comme si je me faisais des idées, comme si j'inventais, que j'essayais de me faire croire des choses. C'est en moi que ça se passe. Je suis habité par sa présence, jour et nuit. C'est étrange. C'est douloureux, et ça me remplit d'un bonheur que je n'ai jamais connu. Tous mes actes en dépendent. C'est comme si elle m'observait en permanence.
J'agis sous son regard. Je la séduis, même lorsqu'elle n'est pas là. Je m'habille différemment, je mange proprement, je fais attention à mon corps, je surveille mon langage. Elle me transforme de l'intérieur. Elle est en train de m'envahir, de me peupler.

Et j'aime ça.

Hier, tenez. On a passé la soirée chez Mike à mater le foot. On a regardé le match de Leeds en buvant des bières. Au début de la deuxième mi-temps, on était déjà assez chauds, et quand ces enfoirés de Ri... quand les Italiens ont égalisé sur un pénalty un peu douteux, il faut le dire, on s'est tous levés et on a commencé à balancer des horreurs, très fort. Steven a vidé sa bière, il a ouvert la fenêtre pour s'installer sur l'appui. " Je pisse sur ces mal rasés " il a hurlé, et bien sûr, il a joint le geste à la parole. A ce moment-là, je ne sais pas. Je me suis dit que ça allait trop loin. Je la voyais là, au milieu de nous, me lançant un regard navré. " On a compris, calme-toi " j'ai dit à Steven. " Quoi, t'en veux aussi ? " Et il s'est retourné dans le salon pour arroser au jugé.Tout le monde était plié en deux, à part Mike qui pensait au nouveau tapis. Moi, ça m'a mis en colère. Je suis parti sans voir la fin du match. Je n'aurais pas fait ça il y a deux mois.

Et puis je pense à mes vacances, aux endroits que je vais voir. Quand je passe devant des paysages qui me plaisent, des bâtiments bizarres, des rues pimpantes sous le soleil, je prends des notes. J'imagine comment je lui raconterai tout ça plus tard. Je l'entends déjà faire des commentaires.

Je deviens délicat, moi qui ne remarquais rien autour de moi, qui ne m'intéressais qu'au foot, à la bière et aux femmes d'un soir. Les couleurs du monde ont changé. Les parfums du monde ont changé. Je note tout, les oiseaux, les petits parcs, les mères accompagnant leurs enfants. J'ai des plaisirs de gosse à me promener dans Londres en pleine journée, à m'asseoir dans un pub en buvant du thé. Parfois, je reste posé des heures sur un banc, souriant bêtement à la pensée de tout ce que l'avenir nous réserve, notre maison, les dimanches en famille, les escapades à deux, loin de tout le monde. Ce n'est plus moi. Ce n'est pas de la folie, je me sens bien, je travaille avec ardeur, tout le monde me sourit. Ce n'est plus moi. J'ai entamé une métamorphose qui fait rougir mes amis chaque fois que je les rencontre, qui les éloigne. Je ne les regrette pas. Je n'ai plus besoin d'eux. Je ne suis plus seul.

Et ce soir, ah ! ce soir...

Si elle me laissait maintenant, est-ce que j'irais en mourir ?

 
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