On tue les chiens
errants dans cette ville où les rares mendiants sont prosternés
sur le sol, comme écrasés par leur propre indignité.
Plus Las Vegas
que New-York. Une Mahagonny chinoise, c’est-à-dire sérieuse jusque
dans le vice, jusque dans le jeu.
L’horizon à
Hong-Kong : des tours, des tours, et encore des tours. Voici l’île
de Hong-Kong, voici Kowloon, et plus loin encore, voici les nouveaux
territoires. C’est-à-dire des tours, des tours, et encore des tours.
La nuit, il
y a tellement de lumières allumées dans cette ville qu’on a comme
un goût de fer qui monte dans la bouche. Ville minérale au bord
d’un océan mort.
On passe d’une
île à une autre grâce à des tunnels creusés sous la mer. L’eau et
la terre brassées indifféremment par un immense réseau autoroutier.
Dans les embouteillages, les conducteurs pestent. Ils se promettent
d’appeler leur fils Michaël et de l’envoyer plus tard en Angleterre,
ou mieux, en Australie.
Le visage des
Hongkongais : souriant, impénétrable. Une douceur et une fragilité
dans leur déférence tout asiatique. Quelque chose de poignant aussi
dans cette foi dans le travail : pas d’au-delà, rien que l’ici-bas,
où le seul bonheur possible se doit donc d’être substantiel.
Par conséquent,
des restaurants partout et des tables de mah-jong. Et dans le ciel,
véritables temples modernes, la splendeur de verre des banques d’affaires.
Une île voisine,
posée un peu à l’écart de la grande ville, accueille les Hongkongais
en villégiature. Des promenades ont été aménagées le long du port,
ombragées par des parasols, les maisons ont été reconstruites. Vie
de village. C’est donc ici que se sont réfugiés les vieux. Ils sont
assis sur des bancs, vêtus d’un pyjama sombre, les deux mains posées
sur une canne qu’ils tiennent droit devant eux. Devenu vieux, le
chinois n’est plus qu’un asiatique. Partout sur le continent, même
regard, même calme dans le maintien. Les petits enfants jouent autour
d’eux et leurs mains se mélangent.
Devant le temple,
au centre du village, on a dressé les tréteaux pour le spectacle
du soir. Pendant la pause, les techniciens, les comédiens, le régisseur,
déjeunent rapidement sur la scène, au milieu du décor : une table
de laque rouge, un trône, un palanquin de carton posés devant un
grand drap noir sur lequel on a dessiné au crayon blanc les contours
d’un palais impérial.
L’éclairagiste
s’est appuyé contre une étoffe verte qui figure la rivière. Il mange
avec une efficacité concentrée. De temps en temps, il nous regarde,
et ce spectacle semble le distraire un moment. Puis il replonge
le nez dans son bol et ses baguettes volent.
Les enfants
surexcités courent partout et on entend, par-dessus cette cavalcade,
quelques morceaux d’opéra chinois. Les voies suraigües contrastent
avec la gravité du visage du comédien principal. Le corps a gardé
toute sa souplesse, mais sous le maquillage rouge et blanc, la peau
est toute ridée. Sur les affiches, on l’aperçoit pourtant en jeune
premier tenant dans ses bras une princesse à la belle tiare.
Pause entre
deux représentations. Hong-Kong ne serait-elle qu’une gigantesque
mise en scène ?
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