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L'été
arrive ! L'été arrive ! Le velours brun du fauteuil
en devient trop chaud, trop collant. Le chat m'énerve à
tourner comme une bourrique pour une caresse... je lui jette un
glaçon (Sangria : 75 cl de vin rouge, 6 cl de cognac,
2 citrons, 2 oranges, 2 pommes et une canette de limonade. Mélangez
et laisser reposer quelques heures). Vite, quelques livres pour
me rafraîchir...
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Pensées
Secrètes
de
David Lodge - Rivages |
Il y a des auteurs
dont j'attends les nouveautés parce que ces fainéants
écrivent plus lentement que je ne lis. Une fois qu'on a rattrapé
son passif de Paul Auster ou de Umberto Ecco (je ne parle pas de
ses essais, trop ardus pour la plupart), il ne nous reste plus qu'à
espérer que notre auteur fétiche retrouve l'inspiration.
David Lodge fait partie de ces amis sûrs, qui vous donnent
de leurs nouvelles tous les ans. Et cette fois, plus encore que
d'habitude, les nouvelles sont bonnes.
On connaît
le style érudico-léger de Lodge. On a soupé
de ses intrigues de petits universitaires. Eh bien cette fois,...
c'est pareil !!! A ceci près que pour une fois, personne
n'est catholique, et donc sexuellement frustré, c'est bien
connu. Encore que, des frustrés, il y en a. Etonnamment,
les sciences (cognitives) viennent se frotter à la littérature.
Les dialogues entre la littéraire et le scientifique pour
qui toute pensée peut être modélisée,
sont d'une rare intelligence. Il y a quelques sujets pour Technologie
et Humanisme dans ce roman.
L'autre originalité qui sous-tend le récit, et qui
en est même le thème récurrent, les Pensées
secrètes, c'est le mélange des modes narratoires.
Entre le journal intime, le dictaphone, le style indirect, même
les mails !, chaque chapitre donne, avec un style différent,
une version parcellaire, partiale, de l'histoire. Au lecteur de
remettre tout ça en ordre, et d'y trouver sa vérité,
si toutefois il y en a une...
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LN |
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Direct
de
Patrick Bouvet - Éditions de l'Olivier |
Il avait commis
Shot, voici maintenant Direct. Ces deux petits livres
(ils se lisent en 5 minutes) se veulent des détournements
du traitement de l'actualité par les média. Ce sont
surtout des essais poétiques sur des thèmes graves
: l'assassinat de Kennedy pour Shot, les attentats du 11
septembre pour Direct.
Quelques fragments de commentaires en direct sont sélectionnés
et progressivement modifiés, interpénétrés,
échangés, mixés. L'effet produit ressemble
à un zapping littéraire, autant qu'à une critique
(peut-être) des amalgames journalistiques...
Je n'ose en dire plus, de peur d'écrire des commentaires
plus longs que leur sujet.
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LN |
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L'esprit
du lieu
de
Jean-Claude Guillebaud - Arléa |
Il y a deux
types de voyage. Il y a les expéditions, qui traversent des villes
et des pays comme on établit des records, qui criblent de flashs
des monuments décapités, cachés derrière des bras et des jambes
rougeaudes sous des shorts et des maillots suants. Et il y a les
voyages lents, hors-saison, si lents que l'on finit lorsqu'on les
pratique par s'inquiéter des débarquements de touristes qui, quelques
jours ou quelques semaines plus tôt, étaient encore nos concitoyens.
Jean-Claude Guillebaud préfère ces voyages-ci. A l'ancienne, pourrait-on
presque dire. Des voyages avec Paul Morand. Ses carnets de notes
sont courts et ne s'encombrent pas de mille adresses qui se font
concurrence et affichent dès l'entrée le logo fétiche qui rassurera
le touriste. Ils sont courts, parce qu'ils ne visent qu'une seule
chose : traduire l'esprit du lieu. Cette atmosphère qui résume un
pays ou une ville. Cette odeur qu'on ignore sur le coup, mais qui
se répand hors de nos bagages sitôt de retour. Cette lumière enfin,
qui marque la rétine et rejaillit quand, après plusieurs années,
on se souvient… Ils sont courts, car ce sont des fulgurances synthétiques,
jaillies d'une église, d'une rue ou d'un restaurant. Ils sont courts,
et c'est tant mieux : ainsi ils tiennent dans la poche, et font
d'un simple touriste un frère venu de loin saluer sa famille à l'étranger,
découvrir émerveillé son cadre de vie. Et de retour chez lui, poser
un regard neuf donc essentiel sur son propre univers. A bon voyageur…
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BP |
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Dialectique
négative
de
T. Adorno - Payot |
Considéré comme
un des grands penseurs de " l'après-Auschwitz ", Theodor Adorno
est pratiquement illisible, comme la plupart des philosophes allemands
(comme Walter Benjamin, par exemple). Adorno était conscient de
cette difficulté ( il a écrit un essai sur cette question). Pour
ne pas désespérer, mieux vaut donc passer vite et ne lire que le
dernier chapitre : " Méditations sur la métaphysique " et surtout
l'essai Après Auschwitz, qui condense en quelques pages l'essentiel
de la réflexion de Dialectique négative.
Une constante
chez Adorno : le manque de conclusions, érigée en système. Sorte
de pensée obsessionnelle, prise dans la spirale de la dépression.
Rapport très direct, même s'il n'est jamais objectivisé par l'auteur,
entre la pensée et la pathologie psychologique personnelle. Voir
à ce sujet les réflexions de F. Nietzsche dans sa préface du Gai
Savoir.
On pourrait
penser qu'Adorno traite la culture non comme un objet mais comme
une personne, qu'il mènerait contre elle une sorte de procès, ou
la condamnation aurait été prononcée à l'avance. Cette culpabilisation
de la culture serait le signe de l'imprégnation judaïque de l'auteur,
dont il se défendrait mal en obscurcissant l'expression de sa pensée.
Faire le procès de la culture est de l'ordre du fantasme ou de la
pensée mystique. On ne juge pas l'Histoire, et la culture est un
pur objet historique.
Mais Adorno
ne prétend pas détruire l'idée de culture, il ne la condamne pas
en soi. Ce qu'il condamne à travers elle, c'est la bonne conscience
bourgeoise qui avait érigé la culture en valeur morale et qui prétendait
que le progrès de la pensée humaine, l'accumulation de ses réalisations
artistiques (deux définitions possibles de la culture) allaient
de pair avec un progrès moral. La culture était le signe de notre
arrachement à la barbarie. Adorno affirme que l'histoire récente,
c'est à dire Auschwitz, en est le plus cruel démenti. Auschwitz
est le fruit, le fils légitime, la réalisation spectaculaire de
la pensée allemande qui, dans le domaine philosophique, se confond
presque avec la pensée occidentale (Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger
…).
Plus précisément,
l'horreur du réveil de l'après-guerre réside dans la déception catastrophique
de ceux qui pensaient que la culture entretenait un rapport dynamique
avec l'idée de liberté. Adorno n'affirme pas expressément l'échec
de croire en la liberté mais sa reflexion pousse irrémédiablement
le lecteur vers cette région refoulée de la pensée occidentale.
C'est que malgré le pessimisme affiché, la noirceur obsessionnelle
de la prose, il semble qu'Adorno veuille encore y croire…
A cause de cette
suspension de la liberté, Adorno, dans ses réflexions, est très
éloigné d'un débat sur la culture qui se résumerait en une opposition
entre l'individuel et le collectif, au détriment de celui-ci. Il
ne défend pas le jugement et l'intelligence, le savoir individuel
contre la culture institutionnalisée, les monuments ou autre, parce
qu'en l'absence ontologique de liberté l'homme n'est pas garant
d'une transformation de la culture en valeur morale. Personne n'échappe
à la responsabilité historique.
Pessimisme donc,
et mauvaise conscience, mais la volonté d'y croire quand même, même
s'il est presque impossible de croire en la vertu de la pensée,
en sa vérité même. D'où certaines précautions chez Adorno : jamais
de conclusions, et la manifestation visible de l'impuissance de
la raison par l'obscurité de l'expression, du style. Une sorte de
renversement, en définitive, de l'idéal classique.
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DH |
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Beowulf
/ Voyageurs arabes / Le 13 ème guerrier
Traduit
par Régis Boyer / Collection de la Pléiade / Michaël
Crichton |
Comme je vous
le disais dans une autre critique, j'aime particulièrement les livres
qui prétendent " continuer " des textes historiques à partir d'éléments
réels ou non. J'ai toujours trouvé ce jeu avec les références obligées
de la littérature, les biographies et les contextes historiques
particulièrement excitant. En l'occurrence, là, c'est Crichton qui
s'y colle… Bon, je ne suis pas un fan déterminé de ce gars, à qui
je reconnais cependant l'efficace qualité d'être là où il faut,
quand il le faut, avec le bon bouquin sous le bras… Le 13ème
guerrier commence par une note relatant le point de départ de
l'idée du livre : un ami de Crichton, prof de fac, lui confiait
son ennui à enseigner sur des œuvres aussi éculées que le Beowulf
(pour ceux qui ne vouent pas un intérêt débordant à la littérature
en vieil anglais, précisons que le Beowulf, dont on situe
l'élaboration entre le VIIème et le VIIIème siècle et la fixation
manuscrite au début du IXème, est l'épopée fondamentale de la littérature
anglo-saxonne, un poème épique et légendaire racontant les faits
d'armes d'un chef viking nommé Beowulf (le monde est bien fait)
qui s'est battu avec tout et n'importe quoi, notamment un dragon,
et qui mérite mieux que l'atroce couverture mordorée dont l'a affublée
Gallimard). Crichton, donc, avait lui, au cours de sa scolarité,
pris grand plaisir à la lecture de ce texte, il a donc voulu lui
rendre un petit hommage avec le 13ème guerrier (dont le titre
original est Les mangeurs de morts, mais c'était pas assez
bien pour le film, donc l'éditeur a changé le titre du bouquin dans
le même coup en mettant une photo d'Antonio Banderas sur la couverture
- selon le dégoûtant procédé qui nous vaut la tête à Depardieu sur
les rééditions des Misérables, c'est affreux -, d'ailleurs,
le film se regarde avec nonchalance par une après-midi pluvieuse
si vous aimez l'humour viking). Bon, qu'est-ce que je disais ? Oui,
donc Crichton a eu l'idée rigolote de reprendre le Beowulf en
faisant participer à cette aventure un ambassadeur arabe, servant
de point de vue " étranger " à cette saga nordique. Là où c'est
plus amusant, c'est qu'il a utilisé un véritable chroniqueur, Ibn
Fadlan, qui au Xème siècle a remonté le Danube en mission diplomatique
pour son calife. Arrivé en Bulgarie (à l'époque, elle s'étendait
jusqu'au sud de l'actuelle Pologne si j'ai bien compris les explications
de l'édition de La Pléiade Les voyageurs arabes qui regroupe
les écrits des principaux diplomates envoyés aux quatre coins du
monde connu par les puissants califats de l'époque), il décrit sa
rencontre avec un bateau viking en goguette. Crichton, avec un certain
à propos, poursuit cette courte rencontre : les vikings (dont le
chef s'appelle Buliwyf, nom qui peut aisément se corrompre avec
le temps et les traductions en Beowulf) sont rappelés au pays par
un messager porteur de nouvelles funestes : de mystérieux démons
assaillent un village. Pour cette expédition, Buliwyf doit emmener
13 hommes dont un étranger, et voilà donc notre chroniqueur qui
se joint à l'aventure qui donnera quelques siècles plus tard le
Beowulf. Crichton joue avec beaucoup de doigté des différents
niveaux culturels de son récit. Les digressions sur les langues
et l'écriture (avec la nécessité pour Buliwyf qu'on " raconte son
histoire "), l'opposition entre vikings guerriers et arabe musulman
raffiné, les monstres mythiques (le dragon de Beowulf est une colonne
de cavaliers tenant des torches dans la brume) ramenés de façon
amusante à une théorie selon laquelle des hommes de Néanderthal
aurait coexistés avec les homo sapiens jusqu'au Moyen-Age (théorie
qui doit être assez populaire outre-Atlantique puisqu'on la retrouve
dans Mutations de Sawyer), bref, Crichton connaît son boulot
et le tout, sans casser des briques non plus, est un aimable exercice
de fiction d'histoire littéraire très agréable à lire, d'autant
plus qu'on aura préalablement lu les textes dont il est issu..
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EM |
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