Le Fauteuil en Velours Brun Retour à la page précédente Retour au sommaire de KaFkaïens Magazine
 

L'été arrive ! L'été arrive ! Le velours brun du fauteuil en devient trop chaud, trop collant. Le chat m'énerve à tourner comme une bourrique pour une caresse... je lui jette un glaçon (Sangria : 75 cl de vin rouge, 6 cl de cognac, 2 citrons, 2 oranges, 2 pommes et une canette de limonade. Mélangez et laisser reposer quelques heures). Vite, quelques livres pour me rafraîchir...

 
Pensées Secrètes de David Lodge - Rivages
Direct de Patrick Bouvet - Éditions de l'Olivier
L'esprit du lieu de Jean-Claude Guillebaud - Arléa
Dialectique négative de T. Adorno - Payot
Beowulf / Voyageurs arabes / Le 13ème guerrier Traduit par Régis Boyer / Collection de la Pléiade / Michaël Crichton
 
 
Pensées Secrètes de David Lodge - Rivages

Il y a des auteurs dont j'attends les nouveautés parce que ces fainéants écrivent plus lentement que je ne lis. Une fois qu'on a rattrapé son passif de Paul Auster ou de Umberto Ecco (je ne parle pas de ses essais, trop ardus pour la plupart), il ne nous reste plus qu'à espérer que notre auteur fétiche retrouve l'inspiration. David Lodge fait partie de ces amis sûrs, qui vous donnent de leurs nouvelles tous les ans. Et cette fois, plus encore que d'habitude, les nouvelles sont bonnes.

On connaît le style érudico-léger de Lodge. On a soupé de ses intrigues de petits universitaires. Eh bien cette fois,... c'est pareil !!! A ceci près que pour une fois, personne n'est catholique, et donc sexuellement frustré, c'est bien connu. Encore que, des frustrés, il y en a. Etonnamment, les sciences (cognitives) viennent se frotter à la littérature. Les dialogues entre la littéraire et le scientifique pour qui toute pensée peut être modélisée, sont d'une rare intelligence. Il y a quelques sujets pour Technologie et Humanisme dans ce roman.
L'autre originalité qui sous-tend le récit, et qui en est même le thème récurrent, les Pensées secrètes, c'est le mélange des modes narratoires. Entre le journal intime, le dictaphone, le style indirect, même les mails !, chaque chapitre donne, avec un style différent, une version parcellaire, partiale, de l'histoire. Au lecteur de remettre tout ça en ordre, et d'y trouver sa vérité, si toutefois il y en a une...

LN
 
 
Direct de Patrick Bouvet - Éditions de l'Olivier

Il avait commis Shot, voici maintenant Direct. Ces deux petits livres (ils se lisent en 5 minutes) se veulent des détournements du traitement de l'actualité par les média. Ce sont surtout des essais poétiques sur des thèmes graves : l'assassinat de Kennedy pour Shot, les attentats du 11 septembre pour Direct.
Quelques fragments de commentaires en direct sont sélectionnés et progressivement modifiés, interpénétrés, échangés, mixés. L'effet produit ressemble à un zapping littéraire, autant qu'à une critique (peut-être) des amalgames journalistiques...
Je n'ose en dire plus, de peur d'écrire des commentaires plus longs que leur sujet.

LN
 
 
L'esprit du lieu de Jean-Claude Guillebaud - Arléa

Il y a deux types de voyage. Il y a les expéditions, qui traversent des villes et des pays comme on établit des records, qui criblent de flashs des monuments décapités, cachés derrière des bras et des jambes rougeaudes sous des shorts et des maillots suants. Et il y a les voyages lents, hors-saison, si lents que l'on finit lorsqu'on les pratique par s'inquiéter des débarquements de touristes qui, quelques jours ou quelques semaines plus tôt, étaient encore nos concitoyens. Jean-Claude Guillebaud préfère ces voyages-ci. A l'ancienne, pourrait-on presque dire. Des voyages avec Paul Morand. Ses carnets de notes sont courts et ne s'encombrent pas de mille adresses qui se font concurrence et affichent dès l'entrée le logo fétiche qui rassurera le touriste. Ils sont courts, parce qu'ils ne visent qu'une seule chose : traduire l'esprit du lieu. Cette atmosphère qui résume un pays ou une ville. Cette odeur qu'on ignore sur le coup, mais qui se répand hors de nos bagages sitôt de retour. Cette lumière enfin, qui marque la rétine et rejaillit quand, après plusieurs années, on se souvient… Ils sont courts, car ce sont des fulgurances synthétiques, jaillies d'une église, d'une rue ou d'un restaurant. Ils sont courts, et c'est tant mieux : ainsi ils tiennent dans la poche, et font d'un simple touriste un frère venu de loin saluer sa famille à l'étranger, découvrir émerveillé son cadre de vie. Et de retour chez lui, poser un regard neuf donc essentiel sur son propre univers. A bon voyageur…

BP
 
 
Dialectique négative de T. Adorno - Payot

Considéré comme un des grands penseurs de " l'après-Auschwitz ", Theodor Adorno est pratiquement illisible, comme la plupart des philosophes allemands (comme Walter Benjamin, par exemple). Adorno était conscient de cette difficulté ( il a écrit un essai sur cette question). Pour ne pas désespérer, mieux vaut donc passer vite et ne lire que le dernier chapitre : " Méditations sur la métaphysique " et surtout l'essai Après Auschwitz, qui condense en quelques pages l'essentiel de la réflexion de Dialectique négative.

Une constante chez Adorno : le manque de conclusions, érigée en système. Sorte de pensée obsessionnelle, prise dans la spirale de la dépression. Rapport très direct, même s'il n'est jamais objectivisé par l'auteur, entre la pensée et la pathologie psychologique personnelle. Voir à ce sujet les réflexions de F. Nietzsche dans sa préface du Gai Savoir.

On pourrait penser qu'Adorno traite la culture non comme un objet mais comme une personne, qu'il mènerait contre elle une sorte de procès, ou la condamnation aurait été prononcée à l'avance. Cette culpabilisation de la culture serait le signe de l'imprégnation judaïque de l'auteur, dont il se défendrait mal en obscurcissant l'expression de sa pensée. Faire le procès de la culture est de l'ordre du fantasme ou de la pensée mystique. On ne juge pas l'Histoire, et la culture est un pur objet historique.

Mais Adorno ne prétend pas détruire l'idée de culture, il ne la condamne pas en soi. Ce qu'il condamne à travers elle, c'est la bonne conscience bourgeoise qui avait érigé la culture en valeur morale et qui prétendait que le progrès de la pensée humaine, l'accumulation de ses réalisations artistiques (deux définitions possibles de la culture) allaient de pair avec un progrès moral. La culture était le signe de notre arrachement à la barbarie. Adorno affirme que l'histoire récente, c'est à dire Auschwitz, en est le plus cruel démenti. Auschwitz est le fruit, le fils légitime, la réalisation spectaculaire de la pensée allemande qui, dans le domaine philosophique, se confond presque avec la pensée occidentale (Kant, Hegel, Nietzsche, Heidegger …).

Plus précisément, l'horreur du réveil de l'après-guerre réside dans la déception catastrophique de ceux qui pensaient que la culture entretenait un rapport dynamique avec l'idée de liberté. Adorno n'affirme pas expressément l'échec de croire en la liberté mais sa reflexion pousse irrémédiablement le lecteur vers cette région refoulée de la pensée occidentale. C'est que malgré le pessimisme affiché, la noirceur obsessionnelle de la prose, il semble qu'Adorno veuille encore y croire…

A cause de cette suspension de la liberté, Adorno, dans ses réflexions, est très éloigné d'un débat sur la culture qui se résumerait en une opposition entre l'individuel et le collectif, au détriment de celui-ci. Il ne défend pas le jugement et l'intelligence, le savoir individuel contre la culture institutionnalisée, les monuments ou autre, parce qu'en l'absence ontologique de liberté l'homme n'est pas garant d'une transformation de la culture en valeur morale. Personne n'échappe à la responsabilité historique.

Pessimisme donc, et mauvaise conscience, mais la volonté d'y croire quand même, même s'il est presque impossible de croire en la vertu de la pensée, en sa vérité même. D'où certaines précautions chez Adorno : jamais de conclusions, et la manifestation visible de l'impuissance de la raison par l'obscurité de l'expression, du style. Une sorte de renversement, en définitive, de l'idéal classique.

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DH
 
 
Beowulf / Voyageurs arabes / Le 13 ème guerrier Traduit par Régis Boyer / Collection de la Pléiade / Michaël Crichton

Comme je vous le disais dans une autre critique, j'aime particulièrement les livres qui prétendent " continuer " des textes historiques à partir d'éléments réels ou non. J'ai toujours trouvé ce jeu avec les références obligées de la littérature, les biographies et les contextes historiques particulièrement excitant. En l'occurrence, là, c'est Crichton qui s'y colle… Bon, je ne suis pas un fan déterminé de ce gars, à qui je reconnais cependant l'efficace qualité d'être là où il faut, quand il le faut, avec le bon bouquin sous le bras… Le 13ème guerrier commence par une note relatant le point de départ de l'idée du livre : un ami de Crichton, prof de fac, lui confiait son ennui à enseigner sur des œuvres aussi éculées que le Beowulf (pour ceux qui ne vouent pas un intérêt débordant à la littérature en vieil anglais, précisons que le Beowulf, dont on situe l'élaboration entre le VIIème et le VIIIème siècle et la fixation manuscrite au début du IXème, est l'épopée fondamentale de la littérature anglo-saxonne, un poème épique et légendaire racontant les faits d'armes d'un chef viking nommé Beowulf (le monde est bien fait) qui s'est battu avec tout et n'importe quoi, notamment un dragon, et qui mérite mieux que l'atroce couverture mordorée dont l'a affublée Gallimard). Crichton, donc, avait lui, au cours de sa scolarité, pris grand plaisir à la lecture de ce texte, il a donc voulu lui rendre un petit hommage avec le 13ème guerrier (dont le titre original est Les mangeurs de morts, mais c'était pas assez bien pour le film, donc l'éditeur a changé le titre du bouquin dans le même coup en mettant une photo d'Antonio Banderas sur la couverture - selon le dégoûtant procédé qui nous vaut la tête à Depardieu sur les rééditions des Misérables, c'est affreux -, d'ailleurs, le film se regarde avec nonchalance par une après-midi pluvieuse si vous aimez l'humour viking). Bon, qu'est-ce que je disais ? Oui, donc Crichton a eu l'idée rigolote de reprendre le Beowulf en faisant participer à cette aventure un ambassadeur arabe, servant de point de vue " étranger " à cette saga nordique. Là où c'est plus amusant, c'est qu'il a utilisé un véritable chroniqueur, Ibn Fadlan, qui au Xème siècle a remonté le Danube en mission diplomatique pour son calife. Arrivé en Bulgarie (à l'époque, elle s'étendait jusqu'au sud de l'actuelle Pologne si j'ai bien compris les explications de l'édition de La Pléiade Les voyageurs arabes qui regroupe les écrits des principaux diplomates envoyés aux quatre coins du monde connu par les puissants califats de l'époque), il décrit sa rencontre avec un bateau viking en goguette. Crichton, avec un certain à propos, poursuit cette courte rencontre : les vikings (dont le chef s'appelle Buliwyf, nom qui peut aisément se corrompre avec le temps et les traductions en Beowulf) sont rappelés au pays par un messager porteur de nouvelles funestes : de mystérieux démons assaillent un village. Pour cette expédition, Buliwyf doit emmener 13 hommes dont un étranger, et voilà donc notre chroniqueur qui se joint à l'aventure qui donnera quelques siècles plus tard le Beowulf. Crichton joue avec beaucoup de doigté des différents niveaux culturels de son récit. Les digressions sur les langues et l'écriture (avec la nécessité pour Buliwyf qu'on " raconte son histoire "), l'opposition entre vikings guerriers et arabe musulman raffiné, les monstres mythiques (le dragon de Beowulf est une colonne de cavaliers tenant des torches dans la brume) ramenés de façon amusante à une théorie selon laquelle des hommes de Néanderthal aurait coexistés avec les homo sapiens jusqu'au Moyen-Age (théorie qui doit être assez populaire outre-Atlantique puisqu'on la retrouve dans Mutations de Sawyer), bref, Crichton connaît son boulot et le tout, sans casser des briques non plus, est un aimable exercice de fiction d'histoire littéraire très agréable à lire, d'autant plus qu'on aura préalablement lu les textes dont il est issu..

EM
 
 
 
 
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