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28
novembre 2002 |
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Le temps est
brouillé ce matin. Le ciel est blanc et la mer gris-bleu.
Le taxi file sur l'autoroute. Poursuivant une trajectoire parralèle,
un petit bateau en forme de panier fend lui aussi la pluie fine
qui nous brouille à tous la vue. A l'horizon, on ne distingue
même plus les montagnes. On a l'impression que les buildings
se sont détachés de l'air opaque comme des copeaux
d'acier. Une étrange paix flotte dans l'air. Peut-être
la fraîcheur. Peut-être l'absence de couleur, ou plutôt
l'absence d'éclat de la couleur. La douceur soudaine des
limbes dans un monde de tranchées.
Hong Kong. Il
est impossible de vivre en toi bien longtemps sans parler ta langue.
Cette langue que tout le monde te dissuade d'apprendre car bientôt,
dit-on, on ne la parlera plus. Donc cette ville si fière
de ses gratte-ciels est déjà anachronique. La plus
belle baie du monde face aux réalités chaque jour
plus précises du continent.
Derrière le terrain de sports de Wanchai, entre la mer et
Henessy Road, il y a un quartier de bars. Je m'y suis promenée.
Et j'ai de nouveau reçu un coup au cur en reconnaissant
ces revêtements de bois sombre et ces ventilateurs aux lourdes
pales, la manière faussement nonchalante qu'ont certains
étrangers de s'accouder au bar en regardant passer les gens.
Quartier de putes, et je l'ai appris plus tard sans aucun étonnement,
ancien quartier du port, où les anciens GI venaient oublier
les réalités depuis longtemps trop précises
de la guerre du Vietnam.
Je me rends
quelquefois dans un minuscule temple à côté
de chez moi. Il a été construit autour d'une grosse
pierre, trônant intacte en haut d'une volée de marches.
Ce temple est un monde secret en rouge et brun, saturé de
fumées, où flottent des sourires d'or sous d'énormes
spirales d'encens qui brûlent jour et nuit.
Pour aller au métro, j'emprunte une passerelle qui longe
des courts de tennis grillagés. Je poursuis quelquefois mon
chemin un peu au-delà, dans le parc de Victoria. Ce sont
des trouées dans la ville. Des vides. Dans le parc de Victoria,
la nuit, la lumière électrique pleut sur les palmiers.
Sur les courts de tennis, même à l'aube, des joueurs
s'entraînent seuls, inlassablement, à renvoyer une
balle sur le mur.
Et pourtant, tout est vivant. Bordant la passerelle, des arbres
ont enfoncé leurs racines si profondément qu'elles
ressortent des murs comme de grandes et fortes mains. Je les regarde
chaque matin. Ce sont les mains de quelqu'un qui s'est endormi en
croisant les doigts sur son giron. Je regarde aussi les lianes et
les fleurs rouges des flamboyants qui poussent partout en Asie aux
alentours des écoles, dont les enfants font des papillons.
Je regarde enfin et toujours les arbres du parc de Victoria si éloquents,
si lyriques au milieu de la ville que c'en est déchirant.
Et même quand en hiver, il y a moins de lumière, la
vue constante de toutes ces racines et ces branches entremêlées
continue de me relier à cette terre que je n'ai pas touchée
depuis que je suis arrivée.
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30
novembre 2002 |
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Lanternes rouges
se balancent au-dessus de la tête des marchands, des passants.
Eclairent des quartiers de viande qui saignent, des corbeilles de
fruits, des pyramides de légumes et des brassées d'herbes
inconnues. Entre les deux cornes de la bête dépiautée,
subsistent encore quelques touffes de poils raidis. Sous sa laque,
le canard grimace un sourire obscène. Tandis que dans l'eau
trouble de leurs aquariums, les poissons continuent de tourner languissamment.
Lampes écarlates toujours. Les étals de brochettes,
de douceurs à faire frire dans une huile déjà
noire. Jus de fruits, viandes grillées, bouchées de
porc ou de crevette. Et surtout des volutes de vapeur. Encens allumé
on ne sait pour quels dieux, quelle clémence. Les visages
se détachent en blanc sur les murs de carreaux crus. Les
étals se détachent en rouge dans la nuit. L'heure
tardive palpite en noir autour des néons criards.
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1er décembre 2002 |
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Premiers sapins
de Noël dans les magasins, sous les rayons obliques d'un soleil
qui peine à percer les nuages. A défaut de neige,
le jour sera blanc du fait du mauvais temps. Rennes aux bois veloutés,
bonhommes à longue barbe, étoiles, guirlandes. Mais
la lumière hivernale a ici une étrange intensité.
A Admiralty, les tours surplombent le parc dans un éclat
poudré. Ni neige, ni paillettes. L'incurable poussière.
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Paris, 26 décembre 2002 |
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Des raviolis,
une dizaine de plateaux de raviolis. Certains invités sont
là depuis 17 heures, en train de faire des ronds de pâtes
avec de minuscules rouleaux de pâtisseries, d'autres les fourrent
inlassablement avec la même farce composée d'oignons
hâchés et de viande. Sur le mur, une peinture en rouleau.
Sur les étagères, quelques bibelots, des tasses de
thé, une figurine de terre cuite. Décor familier.
L'un d'entre eux est né à Hong Kong mais il vit aujourd'hui
à Paris. Pourquoi avoir quitté Hong Kong ? Il me répond
: " J'aime l'opéra italien. " Je le regarde, interloquée.
Il précise : " Mais pas de n'importe quelle école.
Je suis de ces chanteurs qui laissent pendre légèrement
leur tête en avant, sur la poitrine, pour dégager la
voix. Le son sort plus profond, plus beau. " Je lui demande
enfin : " Les hongkongais n'aiment donc pas l'opéra
? " " Les hongkongais ", me répond-il, "
n'aiment pas que l'on soit trop différent. ".
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PVK |
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