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3 septembre 2002 |
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J'ai vu à
Central aujourd'hui, sur un panneau publicitaire haut comme la moitié
d'un immeuble, une femme. Ses seins étaient nus, à
l'exception de ses mamelons comiquement cachés par des pompons
de laine, et sa plastique si parfaite qu'on en venait à s'effrayer
de ces protubérances larges à elles seules de plus
de 5 mètres.
J'ai vu à
Wanchai aujourd'hui, contre un mur en construction que les ouvriers
travaillaient au fer à souder, un arbre haut de plusieurs
étages dont les branches agitées par le vent étaient
comme des bras tremblants dans la chaleur immobile.
J'ai vu à
Tin Hau aujourd'hui une compagnie de pigeons s'engouffrer entre
les immeubles et le battement de leurs ailes, grises dessus et blanches
en-dessous, faisait sur leurs façades rose et beige comme
des flashes de magnésium sous le soleil.
La lumière
est si intense dans cette ville, sa végétation si
vive, sa foule si dense que sa laideur irritante, multipliée,
a la profonde séduction des cauchemars éveillés.
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11
septembre 2002 |
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Il y a eu un
moment ce soir où le ciel au-dessus de la baie est devenu
violet, un violet de carte postale sur lequel se détachaient
les tours illuminées. Puis la ligne d'horizon a lentement
basculé dans l'obscurité. Hong Kong s'est sentie touchée
lorsque New-York a été touchée, comme s'il
existait une espèce de fraternité entre toutes les
villes à grandes tours du monde.
Aujourd'hui,
Hong Kong a reçu pour la première fois un signal d'intensité
8 annonciateur de typhon. Nous sommes restés toute la journée
les yeux fixés sur le ciel, dans l'attente de la tourmente
à venir. Les bureaux se sont vidés dès la fin
de la matinée. Les gens sont rentrés chez eux. Les
magasins ont fermé. Dans ma rue, le petit marché avec
ses étalages vides a l'air abandonné.
Mais le typhon
n'est pas venu. Juste une lumière de fond d'aquarium, qui
a dilué l'après-midi. Un peu de vent, une pluie fine
et serrée qui a brouillé les contours des immeubles
voisins. Alors nous nous sommes endormis sur les journaux dépliés.
Lorsque je me suis réveillée, je suis allée
sur le balcon, et je suis restée là un moment. Tours
de verre, tours illuminées, ombres superposées au-dessus
d'une ombre plus vaste, insondée.
Hong Kong :
des tours et des hommes. Etrange de penser que c'est par la fracture
de cette idylle que le nouveau siècle a choisi de commencer.
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18
septembre 2002 |
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Corps en mouvement,
affiches, couleurs jetées dans la rue comme des eaux grasses.
Air saturé, irrespirable.
L'aigle fend
l'air devant ma fenêtre (j'habite au neuvième étage).
Je le suis des yeux. L'oiseau file. Il monte si haut qu'il semble
défier les tours. Puis il virevolte autour d'elles les ailes
vibrantes, déployées. Courant ascendant, courant descendant.
Il fait si chaud à présent que le ciel lui-même
est immobile.
Temps radieux.
Des tours de Central ce matin, on voyait distinctement chacune des
tours de Kowloon et entre les deux rives hérissées,
la mer bleue, scintillante, immaculée. Dans la courbe de
la baie, la flotte des bateaux - des ferries, des péniches,
des cargos, des plate-formes avec leurs grues rouges et jaunes.
Du 45ème étage, on ne voit même pas la rue.
Juste l'océan entre les immeubles, la pointe avancée
des autres îles et la lente dérive des nuages.
Chaque fois
que je parcours cette ville, j'aperçois à l'horizon
les montagnes qui nous regardent. C'est l'ultime élégance
de Hong Kong, sa secrète beauté. Le vacarme, le chaos
et au loin, la ligne pure des collines. Des rues étroites
comme des défilés et au-dessus des immeubles rongés,
ondulant comme une étole, une forêt infinie.
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22
septembre 2002 |
(troisième
jour de la fête de la mi-Automne) |
Il avance gueule
ouverte, long comme la moitié de la rue. Tambours. Son échine
est souple, ardente. Tambours. La foule gronde à son approche.
Tambours. Les petites filles resserrent le poing sur leurs lampions
allumés. Tambours. Autour d'elles, les adultes à leur
tour portent plus haut leurs grandes lanternes de papier. Tambours.
Les officiels attendent dans la tribune officielle. Tambours.
Et nous qui n'y croyions plus, tout à coup, on y croit.
Il est là.
De lui on ne distingue d'abord qu'un nuage, un âcre nuage
d'encens qui brûle la gorge et les yeux. Il s'enroule sur
lui-même puisqu'on lui fait barrage, anneau sur anneau, toujours
plus serré. Puis d'une seule poussée il repart, précédé
par deux boules de feu. C'est la nuit. Taches de jaune, d'orange,
de rouge et de vert sur le trottoir. Tambours. Cris.
Ne dites pas
qu'il n'existe pas. Il existe. Je l'ai vu et j'y crois. Au dragon
de feu qui, depuis la nuit des temps, protège la Chine et
les Chinois.
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25
septembre 2002 |
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Il paraît
qu'on ne dit pas " The Retrocession Day " pour la fête
nationale de Hong Kong qui a lieu chaque année le 1er juillet.
On dit : " le jour de l'établissement de Hong Kong en
Région Administrative Spéciale ". Admirable talent
du gouvernement pour déceler dans les mots les plus anodins
un sens caché.
Rétrocéder, cela veut dire qu'un jour, les Chinois
ont dû céder. A partir de 1997, on s'efforcera donc
conformément aux instructions officielles de ne retenir de
la colonisation britannique que ce sigle : RAS. C'est-à-dire,
je suppose, en langage crypté : désormais à
Hong Kong, plus rien à signaler.
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PVK |
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