Le chauffeur
de mon taxi, ce soir, porte un masque de chirurgien vert, avec un
double cordon blanc étroitement noué sur la nuque.
Je souris. Encore cette vieille histoire. En février, les
autorités chinoises de Hong Kong ont demandé aux habitants
de reporter leurs voyages sur Canton, à cause d'une grippe
particulièrement contagieuse. En mars, quelques cas se sont
également déclarés au Vietnam.
Le taxi attaque la côte. La soirée a lieu dans les
Mid-Levels, les beaux quartiers de Hong Kong, situés sur
les hauteurs. Il paraît que depuis l'appartement, on a une
vue incomparable sur la baie. J'ouvre la fenêtre pour mieux
profiter de la fraîcheur de l'air. Mon chauffeur s'arrête
en contrebas d'une tour pour demander son chemin. Sous le porche
monumental, le gardien dans sa guérite porte également
un masque. Les deux hommes crient et gesticulent pour tenter d'échanger
quelques mots à travers la gaze qui leur couvre la bouche.
Je les observe en riant.
La soirée
bat déjà son plein, animée par des discussions
qui n'ont plus qu'un seul sujet : il y a eu aujourd'hui dans toutes
les compagnies de la ville une réunion extraordinaire, suivie
par une distribution générale de masques. Un des garçons
présents raconte qu'il travaille dans une banque, au douzième
étage d'une tour. Ce matin, en se rendant à son travail,
il a senti sa gorge un peu irritée. Dans l'ascenseur, il
a essayé de se retenir. Mais c'est l'heure de pointe. Il
y a eu des arrêts à différents étages.
Finalement, il a toussé timidement derrière la paume
de sa main. Arrêt immédiat des conversations. Regards.
Il a esquissé un sourire d'excuses et filé à
son poste. Le téléphone a sonné : c'était
sa DRH. Elle venait de recevoir la plainte d'un de ses collègues
et lui demandait de rentrer chez lui sans délai. Nous éclatons
de rire.
C'est vrai que les gens sont devenus fous, renchérit un autre
convive. Un de ses collègues par exemple a été
saisi par la peur dès qu'il a été question
de la grippe à Canton. Il est d'abord resté planqué
derrière son bureau, transpirant, livide. La semaine dernière,
il a brusquement quitté son poste sans prévenir personne
et sans savoir ce qu'il faisait. Il s'est retrouvé dans un
taxi en direction de l'aéroport. Douze heures plus tard,
il était en France. L'équipe, inquiète, n'a
reçu que trois jours plus tard un mail annonçant son
retour. Il est arrivé ce matin. Juste à temps pour
recevoir son masque. Il est reparti aussi sec. Nouvel éclat
de rire.
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