Ca y est ! Ca
a enfin pêté ! Après des mois de silence, la guerre
a commencé. Dans mon article
précédent j'expliquais que les historiens de la
littérature allaient vouloir défendre leur chapelle.
Je voyais aussi dans l'absence de contradicteur scientifique une validation
de facto de la véracité de la démonstration.
Or, maintenant que la polémique est devenue publique, les choses
se sont compliquées. Le front anti-Labbé attaque sur
deux axes : l'axe
scientifique qui cherche à démontrer les erreurs
de la méthode et l'axe
historique qui réfute les conclusions. Les deux axes s'appuient
l'un sur l'autre, se citent mutuellement. Pour autant que je sache,
M. Labbé se défend seul.
On assiste donc à un débat passionné où
les insultes ne sont jamais loin (G. Forestier : "décidément,
il [D. Labbé] ne sait pas lire" ; D. Labbé : "Après
la bordée d'injures que vient de m'envoyer M. Viprey, je me
vois mal lui écrire : 'Mon cher collègue, accordons
nos violons et assurons-nous d'abord que nous travaillons bien sur
les mêmes fichiers'"). On est bien loin de l'impartialité
scientifique. Oui MM. Viprey et Labbé, assurez-vous bien d'abord
que vous travaillez sur les mêmes fichiers sinon vos expérimentations
respectives ne vaudront pas un sou !!!
La presse (Le Monde, Libération) fournit les tribunes mais
l'Internet prouve encore une fois qu'ilest un moyen incomparable de
polémiquer. Par l'intermédiaire de listes de diffusion
(litor@univ-paris3.fr par exemple) on assiste en direct à la
série des arguments et contre-arguments. L'internet offre la
garantie que les citations sont exactes puisque les liens permettent
à tout un chacun de consulter le texte original. Peu de temps
perdu donc, et impossible de mystifier son lecteur avec une citation
arrangée. Internet ferait vraiment avancer les débats
s'il n'était pas si facile d'écrire sur Internet comme
on parle. On arrive donc à la situation suivante : verba volent,
scripta manent qu'ils disaient. Seulement, avec Internet, on écrit
comme on parle, mais les traces restent. Donc, non seulement on s'engueule
facilement, mais ces engueulades sont gravées dans le marbre
de centaines de disques durs.
N'étant
ni spécialiste des statistiques textuelles, ni historien
de la littérature, je ne prendrai pas parti face aux différents
arguments présentés.
La question historique m'intéressera moins ici que les arguments
scientifiques. Historiquement, on ne peut que démontrer que
les conclusions de M. Labbé sont soit fortement improbable,
soit possibles. Mais jamais aucune réfutation scientifique
concernant la méthode de calcul ne viendra des textes anciens.
Quand bien même l'histoire prouverait que Molière a
bien écrit toutes ses pièces, il n'en resterait pas
moins qu'une expérimentation a produit des résultats
troublants. A mystère scientifique, explication scientifique.
Il faut bien comprendre la complexité des analyses et la
difficulté de leur interprétation. Imaginez-vous dans
un espace à N dimensions (où N représente le
nombre de mots, "lemmes" différents dans les oeuvres
de deux auteurs, soit une dizaine de milliers de dimensions !).
Pour N>3, on ne visualise plus l'espace, alors imaginez-vous
dans une pièce. A différentes hauteurs et positions
volent des mouches en stationnaire. Chaque mouche (que Corneille
et Molière me pardonnent cette image), représente
un texte. Rien que dans votre pièce à 3 dimensions,
il y a une infinité de façons de séparer les
mouches à l'aide, par exemple, d'une large planche de bois
qui figure un plan.
Sauf erreur de méthode (M. Viprey cherche un contre-exemple),
il semble bien que certains plans séparent bien les oeuvres
des deux écrivains, alors que d'autres les regroupent différemment.
Comment interpréter ces résultats ? Quel plan décrit
les relations entre un auteur et son texte ? Cette question n'est
pas encore tranchée. Peut-être nos scientifiques finiront-ils
par démontrer que bien qu'écrits par des auteurs différents,
certains textes présentent des similitudes trompeuses ?
Si la méthode se tient, les conclusions sont-elles erronnées
? La prudence scientifique a-t-elle été mise de côté
? Aujourd'hui, il est trop tôt pour se prononcer sur la méthode.
Comme je l'écrivais, d'autres scientifiques doivent avoir
reproduit une expérience pour la valider. Et la reproduire
sur d'autres textes Or, faute de matière première,
aucune étude n'a pu être menée sur d'autres
écrivains du XVIIème siècle.
Les moyens informatiques ont tellement évolué ses
dernières années que de nombreuses portes se sont
ouvertes. Le moindre PC personnel a la puissance d'un supercalculateur
d'il y a vingt ans. Nous disposons maintenant d'une infinité
de données, de la puissance pour les traiter, et d'une infinité
de façons de les corréler. Dans bien des domaines
de la connaissance, s'offrent à nous de nouveaux liens, de
nouvelles analogies, de nouvelles erreurs, de nouvelles énigmes,
de nouveaux scoops.
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