Il se passe
depuis quelques jours plusieurs événements curieux
qu'il serait juste de consigner ici. De l'avis général,
ces événements sortent un peu de l'ordinaire, du moins
l'ordinaire d'une ville verticale ordinaire telle que Hong Kong.
Une ville plutôt laide d'ailleurs, comme nous avons déjà
eu l'occasion de le dire. Certes, il faut un peu de temps pour comprendre
ce qui la rend particulière parmi toutes les cités
commerciales du monde. Une manière assez simple de le faire
est de vivre ici quelques années.
Travailler, aimer, mourir : dans cette ville, est-ce l'effet du
climat, tout se fait avec le même air frénétique
et absent. Il est vrai que ses habitants travaillent beaucoup, et
toujours pour s'enrichir. Bien sûr, ils ont aussi des joies
simples : les programmes de télévision, les dîners
en famille et les courses de chevaux. Mais ils réservent
ces plaisirs pour la fin de la journée et le week-end, essayant
le reste du temps de gagner beaucoup d'argent. Le soir, les hommes
se réunissent dans de petites gargotes sur les trottoirs
pour discuter et regarder les gens passer. Les désirs des
plus jeunes sont violents et brefs, tandis que ceux des plus âgés
ne dépassent pas les parties de cartes tard dans la nuit.
Sans doute,
cela n'est pas particulier à cette ville. En somme, les hommes
d'aujourd'hui sont ainsi : rien de plus naturel maintenant que de
voir les gens travailler du matin au soir et de perdre ensuite devant
la télévision, au restaurant ou aux jeux de hasard,
le temps qui leur reste à vivre. Mais il est des villes et
des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon
d'autre chose. En général, cela ne change pas leur
vie. Mais il y a eu le soupçon, et c'est toujours ça
de gagné. Hong Kong au contraire est une ville sans soupçons,
c'est-à-dire une ville tout à fait moderne.
Ce qu'il y a de plus original dans cette ville, c'est la difficulté
que l'on trouve à y mourir. Difficulté, ou plutôt
inconfort. Il n'est jamais agréable d'être malade,
mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la
maladie. Un malade a besoin de douceur, il aime à s'appuyer
sur quelque chose, c'est bien normal. Mais à Hong Kong, l'excès
du climat, l'importance des affaires qu'on y traite, l'insignifiance
du décor, la rapidité des crépuscules, la qualité
des plaisirs, tout cela demande une bonne santé. Un malade
s'y trouve bien seul. Qu'on pense à celui qui va mourir derrière
des murs suintant sous la chaleur pendant qu'à la même
minute, toute une population sur son téléphone mobile
ou sur Internet s'informe des cours de la Bourse ou de la guerre
en Irak. On comprendra alors ce qu'il peut y avoir d'inconfortable
dans la mort, même moderne, lorsqu'elle survient ainsi dans
un lieu humide et surpeuplé.
Cependant, il ne faut rien exagérer : on vit très
bien à Hong Kong dès qu'on y a contracté des
habitudes. Sans doute, la vie pourrait être plus passionnante.
Mais du moins, on ne connaît pas ici le désordre. La
population sympathique, active a toujours provoqué chez le
visiteur de passage une certaine estime. La ville est d'ailleurs
greffée sur un paysage sans égal, entourée
de collines lumineuses, face à une baie au dessin parfait.
On admettra donc que rien ne pouvait donc laisser présager
aux habitants les incidents qui se produisirent en ce début
de printemps. Mais il est temps d'en venir aux événements
eux-mêmes.
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